À la une, Décryptage • 3 décembre 2025 • Ousmane Camara
⏳ 7 min de lecture

Votre choix de poursuivre la mission commencée ne souffre donc d’aucune entorse à la démocratie ou à la bonne gouvernance s’il est la résultante d’une volonté populaire claire et d’un sens aigu du devoir.
Excellence, Monsieur le Président,
Que vous écrire aujourd’hui que vous n’ayez pas déjà entendu ? Que dire qu’on ne vous ait déjà dit, soit directement soit indirectement ? D’ailleurs, je n’ai aucune garantie que ce que je m’attèle à dire vous parviendra, surtout en cette période mouvementée de préparation des prochaines élections prévues pour le 28 de ce mois. Mais je me lance tout de même, vous écrivant avec la franchise et l’honnêteté que commande le profond respect que je porte à votre personne et à la fonction suprême que vous incarnez. Cette lettre est un plaidoyer ; elle est née d’une conviction intime et d’une observation attentive de l’évolution de notre chère nation, la Guinée.
Or cette conviction et cette observation de notre condition nationale s’entrecoupent en un point essentiel, lequel constitue par ailleurs le nœud gordien du message que j’envisage de vous adresser ici. Que les postures et les emportements faussement moralisateurs de vos détracteurs ne vous détournent pas de votre désir d’achever la refondation -- imparfaite par endroits, mais nécessaire et globalement salutaire -- que vous avez entamée à la tête de notre pays.
Je viens respectueusement mais fermement vous rassurer que votre candidature à la prochaine élection présidentielle, que vous avez désormais actée avec cette gravité d’officier taiseux qui préfère la lourdeur assumée de l’action à la performativité du discours censé l’annoncer, a constitué une réponse salutaire à nombre de nos compatriotes.
Je sais que ce rappel va heurter ceux qui, brandissant votre promesse de non-candidature lâchée dans les premières heures d’une mission dont vous ignoriez l’immensité et la nécessité existentielle, se complaisent dans leur moraline de disqualification de tous ceux qui ne partagent pas leur vision de la Guinée. Et c’est précisément sur ce point que je souhaite m’arrêter. Votre engagement initial que « ni vous, ni aucun membre du CNRD ne se porterait candidat », que ne cessent de répéter ces moralisateurs qui sont convaincus d’être du « bon côté de l’histoire », fut un acte de tempérance dans le feu de l’action.
Cependant, Monsieur le Président, la vie est un champ mouvant, et la sagesse suprême est de savoir s’adapter à ses réalités nouvelles. Le sociologue, sur le terrain, affine son questionnaire face aux données imprévues. Le géomètre, devant le relief, ajuste ses angles. Le soldat, et vous l’êtes émérite, sait que la stratégie initiale doit ployer devant l’intelligence de la situation. Votre serment premier était -- et demeure -- de servir la Guinée ; or, servir, c’est parfois accepter de poursuivre l’œuvre engagée lorsque le peuple vous y invite.
Votre choix de poursuivre la mission commencée ne souffre donc d’aucune entorse à la démocratie ou à la bonne gouvernance s’il est la résultante d’une volonté populaire claire et d’un sens aigu du devoir. Le fait est que personne ne sera jamais aimé de tous, de même que nul ne sera jamais détesté de tous. Vous, Monsieur le Président, certains vous aiment par conviction de vos actes, d’autres par intérêt, d’autres naturellement. L’inverse est tout aussi vrai. Telle est la nature même de l’exercice du pouvoir et de la condition humaine. L’important n’est pas l’unanimité, laquelle reste une chimère, mais la légitimité que confère une action résolument tournée vers le bien commun.
Longtemps avant votre choix de trancher le tumulte autour de votre candidature par une visite musclée à la Cour suprême, geste qui va longtemps faire objet de débats et d’interprétations, beaucoup avaient perçu dans votre effacement le dévoilement d’un tiraillement intime, atroce entre le colonel que vous fûtes et le général que vous êtes désormais. Il y avait là, pour eux, la possibilité d’une fidélité absolue à une parole donnée dans un contexte révolu. Mais comment oublier qu’il y a eu des hommes avant vous, et qu’il y en aura après ? Car chaque décision, de quelque nature qu’elle soit, dépend de son contexte, du moment et des circonstances qui la façonnent. En optant de continuer l’aventure de refondation, vous avez fait savoir à qui veut encore l’entendre que vous ne laisserez pas votre jugement être entravé par la contrainte unique des événements du 5 septembre 2021. Oui, ce jour fatidique est et a une histoire. Le peuple guinéen est conscient que ce jour-là, vous et votre équipe êtes allés au-devant d’un destin incertain, sans autre allié que votre courage et votre foi en un avenir meilleur pour la Guinée. Cette page est désormais tournée ; il s’agit aujourd’hui d’en écrire une nouvelle.
Et quelle œuvre avez-vous déjà écrite ! Lorsque l’on dresse le bilan, même partiel, de ces dernières années, le contraste avec les époques révolues est saisissant :
La liste est trop longue, Monsieur le Président. Si je m’y attardais, elle remplirait des pages. Nous avons vu les « odeurs politiques » du passé, nous avons été témoins des agissements de certains présidents, ministres et directeurs. Vous avez, avec une clairvoyance remarquable, évité les écueils du passé. Vous avez choisi de construire plutôt que de piller, d’unir plutôt que de diviser, de servir plutôt que de se servir.
Je crois en vous. Je sais que vous avez la trempe, la vision et la détermination pour relever le défi de la consolidation de ces acquis. Les fondations sont solides, mais l’édifice nécessite l’architecte qui l’a conçu pour en achever la construction.
Malgré la disqualification de la candidature du président Mory Kaba du parti circonstancialiste, dont je me sens le plus proche intellectuellement et politiquement, je suis avec beaucoup d’abnégation la campagne présidentielle en cours. J'ai donc, Monsieur le président, naturellement visionné la vidéo de votre premier discours de campagne.
Les saboteurs sempiternels qui se font passer pour les seuls lucides ou éclairés sous nos cieux sont déjà aux trousses pour ridiculiser vos efforts d’énonciation de votre vision pour la Guinée. Ils font le procès de votre accent, de votre éloquence, de votre intellect.
J’ai vu à peu près la même chose qu’eux : la confirmation que les discours ne sont pas votre tasse de thé. Mais, à rebours de leur sabotage congénital, j’ai vu autre chose beaucoup plus essentielle. D’abord votre souci d’articuler votre vision à un peuple qui vous attend et attend beaucoup de vous, et ensuite une confirmation plus importante encore : dans votre gêne qui saute aux yeux, vous démontriez que votre leadership est de terrain et non de tribune. Et c'est cet homme de terrain qu'il nous faut, et c'est ce leadership d’incarnation (non de perdition dans la sophistique philosophico-intellectuelle) dont je fais ici l’éloge. Car je crois à une guinée possible, une nation enchantée, un pays prêt à se remettre en voie de développement. Cela, je le sais, prendra le temps qu’il faut -- posez donc des actions qui puissent mettre notre État au-delà de tout commentaire.
Dans l’attente que cette lettre vous trouve en bonne santé et qu’elle nourrisse votre réflexion, je vous prie, Excellence, avec la plus haute considération, de vous souvenir, en partant aux élections à venir, que la Guinée a besoin de la continuité de votre œuvre.

Ousmane Camara est directeur de la communication et des relations extérieures du groupe Happy Média ...
Chargement...
Chargement...