« Mes chers compatriotes, ma décision, longuement et mûrement réfléchie, est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024 ». Même si à certains égards, cette annonce de Macky Sall peut être positivement accueillie, il n’en demeure pas moins qu’elle soit le fruit d’une longue réflexion dont il n’avait pas besoin. En vérité, c’est le peuple sénégalais et sa jeunesse qui sont en train de faire l’histoire. Car face à la détermination des jeunes dégagistes, Macky Sall n’avait le choix qu’entre la poubelle de l’histoire et la sagesse de se plier à la volonté générale. 

Mais à voir et à lire les éloges qui ont ici et là accompagné ou couronné ce dernier discours dit historique du président sénégalais, l’on ne peut s’empêcher de se poser la question à laquelle semblaient déjà faire allusion ceux qui, à l’aune de cet épisode qui s’annonçait décisif et/ou douloureux pour le Sénégal, ont su mettre le doigt sur les illusions fondatrices de la supposée exception sénégalaise. De fait, de qui se moque-t-on en voulant présenter cette annonce comme un événement par lequel Macky Sall aurait confirmé qu’il reste, malgré tout, un très bon démocrate ?  

Si Macky Sall était tant soit peu un bon démocrate, comme certains veulent nous le faire croire aussi subitement, il n’aurait pas laissé les soupçons ou allégations de son désir d’un troisième mandat aller si loin. Il n’aurait pas attendu tant de morts, de blessés, de prisonniers et de dégâts matériels sur une question simple  – Macky fera-t-il comme Abdoulaye Wade avant lui ?  Question que, par ailleurs, les démêlés judiciaires d’Ousmane Sonko ont finalement rendue existentielle pour la survie de l’expérience démocratique sénégalaise. 

Cet épisode montre ô combien la conséquence d’élire très souvent en Afrique des supposés démocrates-sauveurs qui n’ont pourtant été que des roitelets au sein de leurs formations politiques, ou les mêmes qui accompagnèrent les pouvoirs autocratiques quand ils en avaient encore un quelconque avantage. Tout comme un certain Alpha Condé qui est allé jusqu’au bout de son entêtement pour un troisième mandat malgré la colère populaire, il est faux de présenter tant soit peu Macky Sall comme un démocrate.

Pour l’heure, avant cette fameuse présidentielle de février 2024, Macky Sall a bien l’intention de diriger son pays. Et pour ce faire, il ne peut qu’agir en bon animal politique : savoir gagner par-dessus tout, ou faire de son échec une « victoire », son régime ayant été si acculé que des meutes de jeune sénégalais désabusés et désillusionnés s’en sont récemment pris aux consulats de leur pays à  l’étranger. 

Ainsi, alors que la colère était perceptible partout au Sénégal et dans ses diasporas, et que la tension était à son paroxysme pendant des mois, Macky Sall en est arrivé à la conclusion qu’il fallait se plier au seul choix logique qui lui permettrait de diriger le pays dans une certaine sérénité. Il a compris qu’il fallait dire clairement – et aujourd’hui, maintenant – qu’il ne serait pas candidat aux prochaines élections. Macky Sall a donc décidé de se prêter au jeu que lui imposait la colère et les frustrations des Sénégalais…

Et même si on peut être tenté d’accorder le bénéfice du doute à un Macky Sall qui aurait soudainement « une claire conscience et un sens de responsabilité historique », ou se serait subitement rappelé que le Sénégal dépasse sa petite personne et qu’il y aurait « d’autres leaders capables de pousser le pays vers l’émergence », l’histoire récente d’autres pays de la sous-région commande aux Sénégalais de se méfier d’un tel retournement de situation, de rester vigilants jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’aux prochaines échéances électorales. 

Autrement dit, il est suicidaire de croire sur parole les invocations de bonne foi et de responsabilité historique venant de tous ceux qui, comme Macky Sall, sont les fruits et/ou porte-étendards de cette agonisante Françafrique qui refuse de mourir. 

Pour avoir connu l’épisode Alpha Condé ou encore Alassane Ouattara, il ne serait guère surprenant que Macky Sall revienne demain sur sa décision. Dans l’hypothèse où il ne réussirait pas à évincer la candidature d’Ousmane Sonko qui est tout aussi « déterminé », il n’est donc pas exclu que Macky Sall – puisqu’il a dans son discours annonçant sa décision de non-candidature maintenu que « la constitution m’en donne le droit » – se déclare candidat à sa propre succession. 

Il est donc clair que ce discours de Macky Sall, s’il n’est pas une diversion, reste très superficiel car il ne règle pas le problème de fond. Au fond, le véritable enjeu au Sénégal n’est pas seulement que Macky Sall renonce à un hypothétique projet de troisième mandat; mais c’est aussi et surtout la candidature de Sonko. 

Or tout porte à croire que la réponse de Macky Sall, avec l’aide d’une justice qui lui est inféodée, est d’essayer d’affaiblir politiquement Sonko en créant une alliance entre Khalifa Sall et Karim Wade du PDS, tous deux partisans du dialogue politique auquel Sonko n’est pas partie prenante. La coalition Yewwi Askan Wi – « Libérer le peuple » – en wolof n’est plus ce qu’elle fut depuis la participation de ces alliés de Sonko au dialogue politique promis par Macky Sall. D’ailleurs, ils sont tous deux soupçonnés depuis la condamnation de ce dernier d’être à la recherche d’une nouvelle alternative. 

Le dialogue politique pourrait ainsi permettre à Karim Wade de se présenter aux élections en duo avec Khalifa Sall. C’est en tout cas l’un des scénarios les plus évoqués ces derniers temps. On peut y supposer tous les deals politiques possibles qui garantissent à la mouvance présidentielle une retraite moins coûteuse et un avenir politique moins sombre.

Il ne faudrait cependant pas perdre de vue le clan présidentiel qui a besoin d’assurer suffisamment ses arrières. On se rappellera le cas récent de la RDC avec l’exclusion de l’opposant Martin Fayulu – que beaucoup ont présenté comme étant le véritable candidat de la rupture – par la fraude électorale et les combines politiques. On se rappellera aussi de l’éclatement de ce que Jean-Yves Le Drian, alors ministre français des affaires étrangères avait appelé « le compromis à l’africaine » entre Joseph Kabila et Félix Tchisékédi. 

Nul doute que le dernier scénario, moins crédible cette fois, compte tenu de tout le désaveu essuyé par le régime de Macky Sall ces derniers temps, consisterait malgré tout à imposer un dauphin issu de ses rangs du clan présidentiel. En l’état, cette perspective ne serait ni plus ni moins qu’une confiscation du pouvoir par le clan Macky Sall, qui installerait son candidat les doigts dans le nez par la fraude électorale. 

En fin de compte, l’annonce de la non-candidature de Macky Sall est un non-événement. La parole d’un autocrate mis en échec momentané est pareil à celui qui discute du prix de la peau du loup qu’il n’a pas encore abattu. Ce prix ne vaut que pour celui ou celle qui veut croire ou qui veut être trompé(e). Il faut donc sortir de l’euphorie qui a salué l’annonce de non-candidature de Macky Sall pour épouser davantage le discernement et la vigilance. En tout cas, comme le disent les ivoiriens, « Premier gaou n’est pas gaou ! ».