La dissolution du gouvernement est une mesure grave et inédite qui nécessite une certaine solennité, un peu comme pour rappeler à ceux qui feignent de l’oublier, que nous sommes bien dans un régime militaire. Car, hormis les coups d’État actés officiellement par “prise de pouvoir par l’Armée”,  nous avions jusque-là l’habitude de voir la démission du premier ministre et la dissolution de son gouvernement qui en devenait sitôt l’effet escompté. 

Mais cette fois, on est allé droit au but, pour marquer soit la “rupture brutale” entre le CNRD et son gouvernement, soit pour le CNRD d’avoir une ascendance dans l’opinion publique qui, visiblement, attendait depuis trop longtemps le débarquement de ce gouvernement.

Les mesures restrictives ou “conservatoires” contre les anciens collaborateurs du régime militaire de Conakry sont des nouveautés, signe de plus que la confiance n’est plus au rendez-vous, ou au pire, qu’il y a de l’eau dans le gaz. L’autre aspect de cette dissolution du gouvernement s’expliquerait en quelque sorte par la volonté du CNRD de sacrifier son gouvernement et en procédant à cette de rectification, d’avoir une dernière chance de regagner la confiance du peuple désabusé.

Si à première vue le manque de résultats escomptés peut être – en plus de nombreuses contradictions internes – la cause de la dissolution du gouvernement Goumou, ou dans une moindre mesure un artifice politique en vue de dissuader le mouvement syndical, il est aussi vrai qu’il y avait dans ce gouvernement des hommes et femmes qui nous ont marqué par leur sincérité et leur attachement aux valeurs qui ont – il me semble – prévalu dans leur choix en tant que Ministres et Secrétaires généraux.

Le  gouvernement Goumou était politiquement inquiétant. Ce qui, pour un observateur averti, a négativement affecté les orientations politiques du CNRD qui sont pour le moins superflues. Si la volonté politique a toujours été clamée à Conakry, la réalité a longtemps été – et demeure – tout autre. Car au fond, le fait est que cette transition n’a jamais eu une ligne claire connue de tous. Si on peut minimiser, absoudre, ou même réfuter ce constat à cause de nos considérations politiques et partisanes, il n’en demeure pas moins que Bernard Goumou n’avait ni le poids politique ni le charisme nécessaires pour mettre en oeuvre la feuille de route politique – quoi qu’elle soit – portée par le CNRD. 

Mais avec qui le CNRD va-t-il désormais gouverner ? Quelle couleur peut-on espérer du prochain gouvernement ?

Certains ministres seront très probablement reconduits ; il faut cependant changer la tête du gouvernement et son orientation politique. Cette transition a besoin d’hommes et femmes politiques aguerris, rompus à la tâche.

Il revient ainsi aux plus hautes autorités politiques de la transition de ne pas fléchir sur la suite à donner à la dissolution du gouvernement ; de ne pas avoir peur d’essayer autre chose et par-dessus tout de ne pas avoir une oreille attentive à ceux qui tenteront de les convaincre qu’elles peuvent garder le pouvoir Ad vitam æternam.

Les plus grandes réussites procèdent très souvent de grandes audaces. Les révolutions, les vraies, ne se préoccupent pas de ménager les hommes et leurs intérêts antagonistes et moins égoïstes. Elles prennent les décisions radicales qui s’imposent, assument pour le présent et la postérité, les conséquences historiques. Tout cela n’est possible que lorsque ceux qui sont à la tête choisissent d’être tout d’abord de bons exemples. Or, ce qui est terriblement triste, c’est le niveau d’enrichissement décrié de nos ministres et hauts cadres sous cette transition.

Quand on a réfléchi à tout cela, il nous arrive, même dans un optimisme des plus tenaces, de prendre un coup assommant. On se dit qu’il manque cruellement à la Guinée des intellectuels et des cadres honnêtes et patriotes.

Et aussi longtemps que le CNRD continuera à tergiverser sur son orientation géopolitique et géostratégique, sa politique interne vacillera au rythme des humeurs et des intérêts personnels ; aussi longtemps que le Général Mamadi Doumbouya ne prendra pas sur lui des mesures fortes contre la corruption et la promesse de rendre le pouvoir sans être candidat, la transition risque fort d’aller au-delà de la déception.

À ce stade, la seule manière de sauver cette transition c’est la mise en place d’un chronogramme cohérent de sortie de la transition et la redynamisation de la CRIEF afin de dépolitiser la lutte contre la corruption et la mise en œuvre d’un dialogue politique conséquent. Il n’y a pas mille manières de réussir cette transition politique que de reprendre tout depuis le début ou laisser le tablier à des guinéens plus illustres et plus courageux.