Les examens nationaux, période et seul moyen d’évaluation du système éducatif guinéen en l’espace d’un an, ont démarré cette semaine à travers toute la Guinée. Cette période cruciale pour l’école guinéenne a débuté par l’examen d’entrée au collège (CEP) le 05 juin, puis est venu celui pour l’entrée au lycée (BEPC) ce 09 juin. Et enfin est venu ce 16 juin le très intimidant  Baccalauréat, seul concours national dans l’enseignement pré-universitaire guinéen, par sa correction et ses résultats. Ces exercices de mise à l’épreuve demeurent le plus sûr moyen dont nous disposons pour contrôler les connaissances des jeunes formés par l’école guinéenne. Mais plus encore, en tout cas d’après ce qui devrait être, ces trois examens sont des moyens d’évaluation des politiques publiques de fabrication et transfert des connaissances à travers les formateurs (enseignants, responsables-encadreurs, etc.), des bénéficiaires des formations en question (les élèves), ainsi que des contenus (structure des programmes) et outils que déploient les formateurs sur l’espace d’une année.

Dans les sociétés contemporaines, l’école « laïque » et « républicaine » est le moyen principal par lequel se fabriquent et se transmettent les savoirs. Les connaissances estimées nécessaires et fondamentales à la fois à l’acculturation sur le monde, sur l’histoire, mais aussi sur les avancées scientifiques, techniques et technologiques que la science apporte à l’humanité. Par cette éducation, et à travers des politiques pensées, définies et mises en œuvre par l’Etat à cet effet, les nations contemporaines se construisent à travers des idéaux et des identités qui leur sont propres. Et avec l’évolution et la multiplication des besoins sociétaux et des formes de connaissances, l’éducation participe même à la fabrication des ignorances. Allez lire Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama de Lilian Thuram, pour savoir combien l’Etat français, par exemple, a su soustraire de son système éducatif la part sombre de son histoire sur l’esclavage et la colonisation.

Ainsi donc, en fonction de l’évolution des enjeux sociétaux, l’école se charge de penser les connaissances pouvant être utiles et nécessaires à ce qu’Achille Mbembe appelle « faire communauté ». Or la fabrique et le partage des savoirs sont indispensables à cet idéal. A l’image des transports et voies de communication (terrestre, aérien, maritime et satellitaire) qui permettent le décloisonnement physique, l’école permet le décloisonnement mental. Jules ferry, considérant cette démarche comme un moyen incontournable pour la construction d’une nation égalitaire, le soulignait en ces termes : « L’enseignement est un devoir de justice envers les citoyens ».

Mais très curieusement, comme toujours d’ailleurs, notre pays ne fait pas cas à ce concours. Pour preuve, la dernière et très étonnante nouvelle qu’on peut lire sur l’innovation du ministère de l’Enseignement Pré-universitaire et de l’alphabétisation (MEPU-A) est l’expérimentation des caméras de surveillance dans certains centres d’examen cette année. A la suite de l’atelier préparatoire des examens nationaux de cette année, qui a pris fin en avril 2023, plusieurs décisions ont été prises. Si tant est que ces décisions relèvent toutes ou presque de l’ordinaire (organisation administrative, coordination, fixation des cadres du déroulement des examens, etc.), ce qui a attiré l’attention de beaucoup, moi y compris, a été l’annonce de la décision d’introduire des caméras de surveillance dans les salles d’examen.

A cela viendra s’ajouter, quelques jours avant le lancement des épreuves, la sortie éminemment musclée de Guillaume Hawing, Ministre de l’Enseignement Pré-universitaire et de l’Alphabétisation, dans laquelle il promet le renforcement des mesures de surveillance par l’intégration d’un code QR pour traquer les fraudeurs. Face aux risques traditionnels de fraude pendant les examens nationaux, le ministre présente ce mythique code comme un moyen de localiser automatiquement et « avec une précision mathématique » tous les contrevenants qui voudraient pérenniser la médiocrité de notre système éducatif en prenant en photo les sujets d’examen pour les envoyer par messagerie (WhatsApp ou autres) à des personnes en dehors des centres d’examen. Sauf que ledit code n’a jamais eu une telle fonction, à moins que cela soit une création récente de notre ministère. 

Au lieu de  la fonction de localisation, le code QR a plutôt celle de redirection vers un stockage de données préétablies (site internet, borne wifi, vidéo en ligne, etc.). Et il ne redirige pas automatiquement quand il est photographié (scanné), du moins pas dans tous les cas. Qui plus est, il suggère un lien à suivre pour accéder aux données en question. Ce qui laisse donc entendre une simple diversion par notre MEPU-A dans le débat public et une dynamique d’effarement des candidats aux différents examens nationaux.

D’où la pertinence de poser la question de l’intérêt de cette politique publique dans notre système éducatif. Et l’importance du questionnement ne réside pas sur le fait d’interroger l’efficacité réelle de ces caméras à l’élimination des fraudes. Elle réside plutôt sur la nécessité de celles-ci.  L’état actuel du service public éducatif répond-il assez à nos attentes en termes de besoins primaires (ressources humaines, matérielles et financières) au point de se doter des caméras pour surveiller les examens ? Autrement dit, avons-nous déjà suffisamment investi dans les fondamentaux de l’éducation (enseignants, encadreurs, écoles, bibliothèques et autres) pour juger nécessaire d’investir autant dans la surveillance des examens ? La priorité de notre système éducatif réside où, en effet : sur la formation des jeunes ou plutôt l’évaluation du niveau de ceux-ci ? Évaluer serait-il donc plus utile et essentiel que former ? Au fond, une telle politique reste de l’ordre de la fantaisie pure et simple. Elle n’apportera aucune valeur ajoutée sur la (ré)qualification de notre école. Car, l’important réside ailleurs.

L’essentiel de l’éducation repose sur le transfert des savoirs 

Il est certes nécessaire d’évaluer, mais l’évaluation n’est nécessaire qu’après la formation. C’est-à-dire que la formation doit prévaloir sur l’évaluation. La vocation première et fondamentale de l’école est le transfert des savoirs définis par un ensemble de travaux répondant à un idéal. Dans un Etat moderne, ce travail est fait par des institutions déléguées à cet effet et agissant en cohérence avec des politiques publiques pensées et définies par l’Etat. Ces politiques regroupent tout un ensemble de panoramas : élaboration des programmes, définitions des contenus, mises en place des méthodes et moyens de réalisation des programmes de transfert des connaissances, évaluation de la maîtrise des connaissances par les publics enseignés, etc. Donc, quoique le test des connaissances acquises à travers des examens fasse partie des éléments de l’enseignement, il n’est pas l’élément premier et le plus important à cet effet. De fait, il ne vient – ou ne devrait venir – qu’après la formation. Il serait donc beaucoup plus pertinent d’investir davantage dans les moyens (humains, matériels et financiers) de la formation que dans son évaluation. Un jeune bien formé mais mal évalué, vaut mieux qu’un jeune mal formé mais prétendument bien évalué. Car dans le premier cas, il tirera toujours un avantage de sa formation, même s’il n’a pas été évalué à sa juste valeur ou n’a pas été évalué du tout. 

Les examens comme moyens d’évaluation de l’ensemble du système éducatif 

Contrairement à la croyance populaire, l’évaluation des élèves ne devrait pas être la seule et unique vocation des examens. Ils devraient, somme toute, plutôt être un moyen pour évaluer l’ensemble du système éducatif. Par ailleurs, il faut souligner que le taux de réussite/d’échec à ces différents examens n’incombe pas aux élèves, en tout cas pas à eux principalement. Plus fondamentalement encore, il me semble plus que jamais nécessaire – voire urgent – de rappeler qu’un taux d’échec assez élevé n’est pas un indicateur de performance. Au contraire, un grand taux d’échec est plutôt révélateur de l’état balbutiant du système dans son ensemble. Une quelconque réforme d’un tel système devra donc, non pas se focaliser davantage sur les moyens et dispositifs à mettre en place pour rendre les examens encore plus rudes, mais à repenser le système dans son ensemble. 

Notre système éducatif doit être pensé et défini de manière progressive pour répondre à l’évolution de la société. Car un système stagnant finira par devenir fastidieux pour les jeunes. Cela pour deux raisons. D’une part, parce qu’il finira par être vu comme une charge par ses destinataires qui ne le porteront désormais que par manque de choix. Ce qui expliquerait, en partie, la désertion de l’école par les jeunes. Les échecs étant toujours plus probables que les réussites, ils décident de choisir un autre parcours : métiers peu productifs (commerce de rue par exemple) ou émigration. Et le taux d’analphabétisme ne fera que grandir dans ce cas. D’autre part, un système qui n’évolue pas ne s’adapte pas, et un enseignement inadapté aux réalités du monde vécu s’avèrera oiseux. Car il n’appartient pas aux besoins de s’adapter à la production scientifique. Tout au contraire, c’est la production des savoirs qui doit s’adapter à l’évolution des besoins, à la fois en termes de connaissance de soi, du monde mais aussi des évolutions technico-technologiques.