Notre Nation est en lambeaux. Les valeurs de Travail, de justice et de solidarité, inscrites au fronton de la République, brillent désormais par leur inconséquence. La Guinée est en danger et pour la première fois depuis son existence, le lieu commun dont elle est le symbole est menacé de dislocation.
Le régime du 05 Septembre, celui-là même qui, il y a 3 ans, promettait la grande Union citoyenne autour des fondamentaux républicains, s’est métamorphosé en réceptacle de fractures sociales et de la déliquescence politique.
Les acquis démocratiques, ces merveilleux joyaux, obtenus au prix de mille bravoures et de triomphes retentissants, ont été marchandés par des officiers de la honte.
Notre pays est désormais une minuscule géographie à l’état de nature, où les droits humains sont niés et les libertés fondamentales confisquées. Une nouvelle dictature se construit, trouvant dans la loi du plus fort le parfait moyen de son éclosion.
Après la liesse des débuts et le charme de la nouveauté salvatrice, le CNRD est désormais décrié pour la confusion qu’il sème et sa réticence, au bout de trois ans de gouvernance, d’articuler et donner forme aux vraies raisons de son Coup d’État. Les grands discours d’autrefois, conjuguant fierté mirifique autour d’histoires controversées et promesses de refondation philosophique et institutionnelle, ne font dorénavant plus d’effet. Les guinéens, dans leur ensemble, ont saisi les tabous qui maquillent l’imposture.
Il y a pourtant six mois, nous écrivions une tribune citoyenne signée par une quarantaine d’intellectuels, de politiques et d’acteurs de la société civile dans laquelle nous appelions les gouvernants, les acteurs politiques et les citoyens, à privilégier le dialogue dans un moment aussi décisif de notre histoire politique.
Cet appel n’a pas été entendu. L’ivresse autoritaire contre laquelle nous nous insurgions semble de toute évidence avoir pris le dessus. Le remaniement gouvernemental, longtemps espéré, n’a visiblement rien changé. Le doyen Bah Oury, plutôt que d’ouvrir le perchoir de la primature au dialogue et ainsi privilégier le compromis politique salvateur que nous appelions de nos vœux dans la précédente tribune (dont il était d’ailleurs signataire), semble être en voie de trahir le sacerdoce Républicain en tournant le dos à l’Union.
Ce divorce choisi a précipité notre État dans la crise. Aujourd’hui, nul ne comprend l’orientation de la transition. L’échéance proposée par le colonel désormais Général, arrive à terme en fin d’année. Aucun recensement n’est à l’œuvre et les élections, symboles du retour à l’ordre constitutionnel, ne font plus partie du discours des refondateurs.
Sur un autre registre, il n’est plus besoin de rappeler que le régime s’effiloche, que le bateau tangue de l’intérieur. La contradiction, endogène au CNRD, est visible même de l’extérieur.
La mort soudaine du Général Sadiba dans des circonstances opaques, l’hyper présence de militaires encagoulés dans les rues de la capitale, les check-points ponctuels à la rentrée de la Ville, le démenti récurrent aux accusations des blogueurs, montrent bien une fissure que le pouvoir tente à tout prix de camoufler.
On pourrait ajouter à ces signes, peut-être annonciateurs d’une certaine fin, la récente dissolution du gouvernement au moyen d’un dispositif peu orthodoxe – sans information préalable des ministres.
Les pauvres ont appris, au même titre que les citoyens ordinaires, qu’ils ont été démis de leur fonction, avec le lot de conséquences que cela implique : retrait immédiat des véhicules de fonction, gel de leurs comptes bancaires et démobilisation des soldats en charge de leur sécurité. En un instant, ils sont devenus, comme nous autres, un amas de gens ordinaires à la solde des projets fantasmatiques d’une fuite en avant qui répand doutes et appréhensions à l’intérieur de la République qui se meurt.
Sur le plan exogène, l’échec est aujourd’hui implacable. Le CNRD a complètement détricoté le pacte Républicain. Aucune liberté n’est assez forte pour résister au locataire du Palais Mohammed V. Aucun droit subjectif n’est suffisamment robuste pour faire obstacle à la tentation dictatoriale du Général.
Les guinéens sont ainsi sommés de garder le silence. L’obligation de succomber à une vision unique semble désormais se dessiner. Le droit de manifester et la liberté d’expression ont été suspendus, grâce naturellement à la complicité d’une justice à la dérive.
Les nouveaux censeurs ont dissout le FNDC et retiré, sur des fondements fallacieux, les licences des grands médias. Les protestations légitimes de citoyens insatisfaits de la conduite de la transition sont punies à la racine par une unité de Forces Spéciales qui ne respecte ni la loi, ni les principes républicains.
A l’heure où nous écrivons cette tribune, deux activistes de la société civile qui refusent d’obéir aux diktats injustes des nouvelles autorités, ont été arrêtés, sans mandat, par des forces de l’ordre et conduits dans des lieux tenus secrets. Peut-être sont-ils en train d’expérimenter le plus sinistre des tortures, sous le regard approbateur d’une partie du peuple, toujours complice de l’ignominie.
Malgré les mises en garde répétées, le CNRD refuse de se voir comme un régime de transition. Il a fabriqué, peut-être sans le vouloir, des opposants nombreux et a fait émerger contre lui un front républicain. Nous n’étions pas obligés d’en arriver là, surtout que l’histoire nous donnait l’occasion de réparer nos torts ; de réconcilier nos mémoires fragmentées ; de mettre enfin la Guinée sur le bon chemin.
Aujourd’hui, aucun retour en arrière n’est possible. La fracture est si profonde et la déroute si tentaculaire que le CNRD doit se résoudre à partir, de préférence par la paix et sans un autre bain de sang aussi inutile que tragique. Nous voici donc, comme si souvent dans notre douloureuse histoire, au bord d’un précipice.
S’ouvre graduellement devant nous un abîme d’où devraient nous parvenir – si jamais nous nous donnions la peine d’y faire attention – les échos de notre traumatisme collectif, les pleurs de mères dont les fils disparaissent à longueur de journées, d’épouses dont les maris – militaires ou activistes de la société civile – ont eu le malheur d’avoir fait preuve de courage ultime dans ce régime policier primaire que devient la Guinée.
L’heure est aujourd’hui à la dissidence, à l’urgence de nous extirper coûte que coûte de cette insupportable servitude volontaire. Car oui, dans son aveuglement propre à l’ivresse du pouvoir, le CNRD nous a volontairement poussés vers ce précipice.
Ayant promis l’amour à la Guinée, cette belle femme que le régime précédent n’aurait fait que violer et violenter, le Général Doumbouya et sa transition font bien pire. En plus de violer à souhait la République, il méprise les leçons de l’histoire, semble prendre plaisir à briser les vies et les espoirs de ses familles endeuillées, de sa jeunesse désœuvrée, ainsi que de notre rêve collectif d’une nation guérie et réconciliée.
Donc ce que traverse aujourd’hui notre demeure commune n’est pas seulement une crise politique ; il s’agit d’abord et surtout d’une crise morale. Et il revient ainsi au peuple, mais surtout au CNRD, de faire preuve de grandeur morale dans ce contexte délétère où les voix de discorde semblent l’emporter sur celles de la raison.
A tous les ministres, magistrats, fonctionnaires de premier plan et autres hauts cadres, l’histoire vous regarde et en appelle à votre patriotisme éclairé. Seuls vous avez les moyens de raisonner le président de la transition et éviter du même coup le suicide guinéen en préparation.
Et alors que se pointent vers l’horizon des lendemains peu prometteurs, notre ultime espérance est de retrouver l’esprit patriotique qui a prévalu lors du coup d’Etat du 05 septembre pour que renaisse l’espoir et que ne se défasse la République.
Il s’agit donc que nous autres citoyens sortions de notre impuissance politique, et que tous les acteurs de notre “devenir nation” sortent de leur arrogance et leurs intransigeances mortifères pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la Guinée – un chapitre de courage, de résilience et de rédemption.