Toute personne qui réfléchit sur les relations internationales modernes se trouve confrontée à la problématique de l’affirmation ou de l’hégémonie chinoise et doit, ne serait-ce que pour une contribution personnelle, définir sa position face à l’évolution de la chine vis-à-vis du reste du monde. En tout cas, quel que soit le prisme à travers lequel on considère les nouvelles configurations ou tendances de la géopolitique de notre temps, cette présence chinoise est indubitablement au cœur des relations internationales. La Chine est intéressante aujourd’hui parce qu’elle est un acteur incontournable  dans notre ère caractérisée par le recul ou le déclin relatif de l’Occident. 

Il n’est donc guère étonnant que l’irrésistible percée chinoise en Afrique suscite de vives controverses au sein de la communauté internationale. La question qui se pose est de savoir si le pays du Milieu est bel et bien un levier à une future émancipation politique et économique du continent ou un frein à son développement, voire même un facteur d’instabilité. Une approche prenant en compte la diversité des points de vue et les multiples dimensions de la relation sino-africaine permet de mieux en mesurer l’importance, les enjeux et les implications.

L’inquiétude doit en toute circonstance être placée dans un contexte géopolitiquement et économiquement plus large que possible. S’il est crucial de reconnaître que la coopération sino-africaine est bien réelle dans plusieurs secteurs et axes (stratégiques ou non), il est tout aussi essentiel de ne jamais perdre de vue le fait  que cette coopération est foncièrement inégale, tant sur la forme des accords qu’au fond de leurs mis en œuvre. 

De fait, alors que les relations Chine-Afrique ont connu un développement prodigieux au cours des dix dernières années, l’ampleur et la nature des rapports sino-africains ont diamétralement changé depuis la fin des années 1990. Cette expansion et cette métamorphose ont été avant tout favorisées par la mise en place à Pékin d’une nouvelle politique africaine destinée à servir à la fois les besoins économiques croissants de la Chine et sa montée en puissance sur la scène mondiale. De façon générale, l’Afrique voit en la chine un modèle de développement économique. Pour autant, beaucoup en Afrique sont conscients — ou du moins devraient l’être — du danger de toute sur-dépendance de la Chine. Qu’il s’agisse des échanges commerciaux ou de capitaux de toutes sortes, force de constater que la présence économique de la Chine en Afrique ainsi que sa politique d’ aide au développement du continent n’a rien d’altruiste

Au fond, l’engagement de la Chine en Afrique est marqué par des relations étroites d’échanges commerciaux, d’investissements et de financements. Pratiquement presque tous les pays du continent reçoivent des investissements directs étrangers (IDEs) chinois, qui ne cessent de se diversifier. 

Si les industries pétrolières et minières dominent encore, les services financiers, la construction et les industries manufacturières représentent désormais la moitié des apports de la Chine à l’Afrique. Les banques chinoises ont appuyé des investissements d’infrastructure à grande échelle sur le continent et plus de 2 200 sociétés chinoises, privées pour l’essentiel, opèrent actuellement dans nombre de pays africains. 

La coopération commerciale avec la Chine a incontestablement contribué à la croissance économique de l’Afrique, qui importe essentiellement des produits finis venant de la Chine pour rehausser son économie basée en grande partie sur le commerce des marchandises de troisième qualité. Il n’est donc pas étonnant que l’économie africaine ait changé aussi peu ces dernières années, qu’elle soit fondamentalement une économie en chute depuis les indépendances des Etats africains.

En Afrique, l’Angola est le pays le plus affecté par le virus économique chinois depuis 2010. Viennent respectivement en deuxième et troisième position la République démocratique du Congo et la République de Guinée, pour ne citer que celles-ci. De plus en plus, une préoccupation centrale des observateurs des relations sino-africaines est le  fait de l’existence d’un rapport inéquitable, déséquilibré en faveur de la Chine. Parce qu’elle a accès à des matières premières bon marché et à des marchés publics en Afrique, la Chine profite davantage de cette relation que l’Afrique. 

Une autre préoccupation de cette relation inéquitable concerne l’impact environnemental des projets chinois en Afrique, ainsi que les conditions de travail des travailleurs chinois. De plus, il faut craindre que la dépendance économique de l’Afrique vis-à-vis de la Chine ne soit pas saine à long terme. En réponse à une vague de critiques ayant visé ces aspects de la coopération sino-africaine, les autorités chinoises ont mis en place en septembre 2022 des politiques visant à corriger un déséquilibre commercial. Entre autres, Pékin a supprimé les droits de douane sur 98% des produits importés de neuf pays africains, dont la Guinée, le Mozambique, le Rwanda et le Togo. 

La présence chinoise n’est pas désintéressée

Toutefois, il n’en demeure pas moins que, contrairement aux pourfendeurs africains d’un Occident soi-disant décadent et prédateur, l’aide chinoise en Afrique n’est ni la panacée promise par les grands prêtres de l’évangile tiers-mondiste ni le fruit de l’altruisme chinois envers ses frères cadets ou cousins en faillite du Sud Global. Très loin donc d’être gratuite, l’aide chinoise vient souvent avec des conditions. Par exemple, Pékin exige que ses partenaires africains achètent des produits chinois ou utilisent des entreprises chinoises pour les projets de développement financés par la Chine. Ce qui peut être une perte pour les Etats africains, qui se voient souvent obligés de payer des sommes dithyrambiques pour des projets qui pourraient être moins chers s’ils étaient réalisés par des entreprises locales ou étrangères non-chinoises. 

La Chine cherche à asseoir son hégémonie dans ses relations économiques avec l’Afrique, car elle a besoin de matières premières pour alimenter sa croissance économique. La Chine a également besoin de nouveaux marchés pour ses produits manufacturés. En outre, la Chine cherche à étendre son influence politique dans le monde et l’Afrique s’avère être un terrain fertile pour la position stratégique de son hégémonie économique et géopolitique. Autrement dit, l’Afrique constitue par la Chine un terrain propice pour étendre son influence internationale pour plusieurs raisons. 

Tout d’abord, l’Afrique a une terre riche en matières brutes que la Chine utilise pour alimenter sa croissance économique, notamment le bois, les granites et la terre, pour ne citer que ceux-là. En outre, la Chine a investi massivement dans les infrastructures en Afrique, ce qui lui donne une influence politique et économique stratégique dans la région. En Afrique centrale, par exemple, la quête de ressources naturelles reste le mobile majeur de l’internationalisation des firmes internationales chinoises dans les 10 pays membres de  la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC). 

Un phénomène corroboré par la situation des IDE chinois pour l’essentiel destinés au secteur des industries extractives. Un survol de la situation économique de cette région révèle très rapidement que les trois principales compagnies pétrolières chinoises à capitaux publics ont investi dans tous les pays pétroliers d’Afrique centrale en fonction de leur spécialisation : China National Petroleum Corporation (CNPC) pour l’exploration/production onshore ; Sinopec (China Petroleum & Chemical Corporation Limited) pour le raffinage et la pétrochimie ; China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) pour l’exploration/production offshore. 

Aussi, ces entreprises déploient des stratégies managériales sur le continent africain une stratégie d’approvisionnement et d’intégration verticale, comme la Sinopec qui a largement investi en Angola, ainsi qu’au Congo Brazzaville et au Gabon. C’est aussi le cas de la CNPC qui a investi en amont et en aval de la filière énergétique au Gabon, et surtout au Tchad où elle a construit la première raffinerie du pays parallèlement à ses activités de prospection et de forage. Vient ensuite une stratégie de sécurité énergétique de l’État chinois qui cherche (y compris à travers ses fonds souverains) à acquérir des actifs énergétiques à l’étranger, notamment en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient. 

Dès lors, le gouvernement chinois appuie directement ses FMN au plan financier et lie ce soutien aux projets de développement, intervenant éventuellement auprès des dirigeants politiques des pays cibles. Les importations chinoises d’Afrique subsaharienne sont ainsi concentrées sur le minerai de fer et de la bauxite en Guinée, le niobium, le cobalt et le cuivre en Zambie et en République Démocratique du Congo. Selon les données du Comtrade, entre 2001 et 2008, la Chine a importé d’Afrique 80 % de son cobalt (RDC et Zambie), 40 % de son manganèse (Gabon et Afrique du Sud), 20 % de son chrome (Afrique du Sud) et 10 % de son fer (Afrique du Sud et Mauritanie).

Cependant, la présence chinoise en Angola a suscité des critiques en raison de la corruption, de l’exploitation des travailleurs et de l’impact environnemental de certains projets chinois et la chute de l’économie angolaise dû à l’étranglement de la stratégie d’exploitation chinoise. En République démocratique du Congo, ou la Chine est un important partenaire commercial et investisseur, certains observateurs ont estimé que la présence chinoise coûte au pays plus que la colonisation. En effet, les relations économiques entre la Chine et la RDC sont basées sur les exportations de ressources naturelles congolaises vers la Chine, notamment le cuivre, le cobalt et le coltan, ainsi que les investissements chinois dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures. 

Les entreprises chinoises y sont également impliquées dans des projets miniers et de télécommunications. En retour, la Chine a fourni une aide financière « prêt » et technique à la RDC pour la reconstruction de l’infrastructure et le développement économique des régions du pays. Cependant, comme en Angola, la présence chinoise en RDC a également suscité des interrogations en raison de la corruption excessive, de l’exploitation des travailleurs et de l’impact environnemental de certains projets de développement financés par Pékin et réalisés par des entreprises chinoises. Dans le secteur minier, les IDEs chinois sont  partout où la Chine est présente en Afrique le fait des entreprises publiques – Chinalco, Sinosteel, China National Machinery (CMC). Par conséquent,  les partenariats inter-entreprises avec les États d’accueil sont privilégiés, mais toujours avec une participation chinoise majoritaire de façon à pouvoir contrôler la stratégie de ces coentreprises. 

Comme dans le cas du pétrole, les entreprises publiques chinoises visent à garantir l’approvisionnement en produits miniers dont Pékin est de plus en plus dépendant. On sait que la Chine qui occupe le second rang mondial après les États-Unis en tant que pays consommateur de pétrole (10 % en 2008) est devenue importatrice nette de pétrole depuis 1993 et que l’Afrique pèse actuellement pour près de 35 % dans ses importations de produits pétroliers (contre 9 % en 1995 et 20 % en 2005). 

Les slogans pompeux ne feront pas l’urgente tâche de repenser la Chine-Afrique

Il est donc important que les États africains adoptent une politique économique commune pour protéger leurs intérêts face à la Chine, ce qui leur permettrait de négocier collectivement des accords commerciaux et d’investissement équitables. En travaillant ensemble, les pays africains peuvent renforcer leur position de négociation et obtenir des conditions plus favorables pour leurs ressources naturelles et leurs produits. Ils peuvent également travailler ensemble pour élaborer des normes communes pour la protection de l’environnement, le respect des droits des travailleurs et la promotion de pratiques durables. En outre, une politique économique commune pourrait aider à renforcer l’intégration régionale et à stimuler la croissance économique en Afrique. 

Ici, la question est de savoir comment les États africains doivent élaborer une politique commune dans leur coopération avec le pays du Milieu pour sauvegarder leur intérêt face à la puissance chinoise et à son élan économique de plus en plus hégémonique et invasif. En ce sens, la posture à adopter face à la Chine restera pour nombre d’Etats africains dans les décennies à venir une inquiétude complexe nécessitant une analyse approfondie. 

Étant donné que le continent est en majorité formé de micro-États postcoloniaux qui seuls ne peuvent en aucun cas avoir une influence considérable sur le cours de choses dans la jungle des relations internationales, il est crucial que les États africains travaillent ensemble pour élaborer des stratégies communes qui leur permettront de protéger leurs intérêts face à la grandissante hégémonie chinoise. 

Cela implique la renégociation de contrats entre les Etats africains et les sociétés multinationales chinoises, la promotion de la transparence dans la mise en œuvre de ces contrats et de la responsabilité de toutes les parties prenantes, la protection des droits des travailleurs africains évoluant avec des entreprises chinoise, ainsi que la préservation de de l’environnement africain dans toute sa composition. 

S’agissant des contrats, les Etats doivent coopérer solidement pour avoir des contrats équitables pouvant protéger les intérêts africains face à la Chine. La collaboration peut se baser dans le partage des informations sur les contrats qu’ils (les Etats) ont négociés avec la Chine pour redéfinir les termes d’une nouvelle collaboration nécessaire ou une rupture, qui exige la mise en place des normes juridiques communes pour les contrats hors continent. 

Les États africains doivent également exiger la transparence en demandant que les entreprises chinoises opérant en Afrique élaborent et publient des rapports mensuels et trimestriels sur leurs activités sur le continent. L’implication des organisations de la société civile pour surveiller les activités des entreprises chinoises et signaler toute violation des lois et normes en vigueur pourrait contribuer à freiner la corruption interne. En plus, les Etats pourraient renforcer les lois et les réglementations pour garantir que les entreprises étrangères et principalement chinoises respectent les normes régissant les domaines dans lesquelles elles opèrent. 

Il est donc important que les États africains appliquent les dispositions de leurs lois pour protéger leurs intérêts et garantir le respect de l’intégrité et des droits des travailleurs locaux embauchés par les multinationales ou entreprises chinoises. Les lois et les réglementations pour les investissements étrangers aident à établir un cadre juridique pour les activités économiques en Afrique et à protéger les pays contre les pratiques commerciales déloyales. Certes, l’application des lois aide à prévenir la corruption et la fraude et à renforcer la transparence et la responsabilité dans les transactions commerciales et d’investissement qu’effectue la Chine en Afrique. Les intérêts des citoyens africains peuvent être davantage pris en compte dans les accords d’investissements conclus avec la Chine : il s’agit de veiller à la transparence des accords, de faire appel aux experts et de ne plus négliger les populations locales.

Les pays africains comptent parmi les plus endettées à l’égard de la Chine — Djibouti, la République du Congo, le Niger et la Zambie arrivant en tête du classement pour le ratio de la dette par rapport au PIB. Ces pays illustrent bien à quel point l’enfermement dans une spirale d’endettement avec la Chine provoque des effets pervers à l’échelle du continent africain. Sur ce point, la Zambie en est l’exemple par excellence. En 2020, ce pays de l’Afrique australe a demandé à la Chine la restructuration de sa dette de 11 milliards de dollars. 

Cette dernière a alors posé comme condition préalable que l’ensemble des arriérés soient apurés, une demande à laquelle le président zambien Edgar Lungu n’avait pas les moyens de s’opposer. Les autres donateurs sollicités par la Zambie ont soudainement manifesté quelque réticence à lui accorder une aide qui servirait seulement à rembourser les créanciers chinois. 

Comme le rappelle Ken Ofori, ministre des finances ghanéen, « la façon qu’a la Chine de négocier les dettes pénalise les partenaires les plus endettés, en éloignant d’éventuels nouveaux créanciers qui peuvent craindre que les fonds alloués ne soient purement et simplement transférés vers Pékin ». Il va donc sans dire que, dans le fond comme dans la forme, il appartient aux Etats africains d’exiger une reconfiguration des bases de la coopération sino-africaine. Il s’agira, pour ce faire, de dessiner les contours d’un nouveau partenariat équilibré entre la Chine et l’Afrique pour sortir le continent de la sur-dépendance économique vis-vis du géant asiatique.

L’aide chinoise pour l’Afrique doit être beaucoup plus accentuée sur la production agricole, notamment en fournissant des technologies agricoles avancées, des équipements et des intrants agricoles de qualité supérieure pour supprimer la famine pendant au moins deux décennies. La Chine peut également aider à renforcer les capacités des agriculteurs africains en matière de gestion des plantes, de conservation des sols et de la politique de l’eau, ainsi que de contrôle des maladies des cultures de champ. 

La Chine peut, dans le même sillage, aider à développer les infrastructures agricoles, telles que les systèmes d’irrigation, les routes rurales et les marchés agricoles, pour améliorer la distribution et le marketing des produits agricoles africains. Aujourd’hui, la Chine peut enfin aider à renforcer les capacités instituts et écoles des africains dans la formulation et la mise en œuvre des politiques agricoles, en fournissant une assistance technique et financière pour la planification et la mise en œuvre de programmes agricoles efficaces dans le milieu professionnel. 

S’agissant du domaine technologique, l’Afrique doit promouvoir le transfert de technologie et de compétences de la Chine vers l’Afrique en encourageant les investissements chinois dans les secteurs clés de l’économie africaine, tels que l’agriculture, l’industrie manufacturière et les infrastructures. Les gouvernements africains peuvent également établir des partenariats avec des entreprises chinoises pour développer des programmes de formation professionnelle et renforcer les capacités des cadres africains dans des domaines tels que l’ingénierie, la technologie de l’information et les sciences de la santé. En outre, il est crucial d’encourager les échanges universitaires et les collaborations de recherche entre les universités africaines et leurs homologues chinoises, afin de renforcer les capacités scientifiques et technologiques du continent. 

Dans le domaine de la finance, Le Groupe de la Banque africaine de Développement et les autres banques centrales devraient : Soutenir, dans le cadre du FOCAC, l’approfondissement des relations Chine-Afrique au profit du développement. Ceci devra passer, par exemple, par la constitution au sein du FOCAC d’un petit groupe de pays d’Afrique analogue au Comité des dix (C-10) qui regroupe déjà dix ministres des finances et gouverneurs de banques centrales. La principale tâche de ce groupe devra être de présenter le point de vue de l’Afrique sur un certain nombre d’aspects fondamentaux : projets d’infrastructure régionaux, déliement de l’aide, élargissement de l’accès aux marchés extérieurs via les préférences commerciales, agricoles et coordination des mécanismes d’allègement de la dette.

Mais l’heure n’étant plus aux discours panafricanistes pompeux et creux, il faut que l’Afrique sorte des slogans pour faire de la stratégie dure et pure. Il faut donc que le continent sache ce qu’il veut et mette en place une solide stratégie pouvant le mener vers tous ou une très grande partie de ses objectifs majeurs. Parmi ces objectifs, il y a l’impérieuse nécessité pour les Etats Africains de réduire la prégnance de la chine sur leurs économies. La diversification des partenaires, on le sait, pourrait aider à réduire les déséquilibres commerciaux entre la Chine et l’Afrique, permettant ainsi aux pays africains de renforcer leurs capacités de négociation, par exemple en accédant à des services juridiques spécialisés, afin de pouvoir négocier avec la Chine de grands contrats complexes portant sur les matières premières et contenant des clauses avantageuses pour le pays d’Afrique exportateur.