À la une, Décryptage, Politique • 11 décembre 2025 • Sitan Sine SIDIBE
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Comment un pays qui n’a jamais su appliquer les règles basiques de la démocratie, peut-il désigner celle-ci comme la cause de ses problèmes ?
Il m’arrive ces derniers temps de lire, non sans une dose de curiosité, un débat qu’animent certains concitoyens sur les réseaux sociaux autour d’une thématique que je résumerais, à défaut de la citer à la virgule près, en ceci : « Le respect des principes démocratiques et la nécessité d’un développement socio-économique : quelle priorité pour l’émergence de la Guinée ? »
À observer avec attention les défenseurs de l’un ou de l’autre versant du sujet, il est aisé de comprendre qu’on veuille opposer la démocratie au développement. Qu’on veuille rendre la première incompatible avec le dernier. Qu’il faudrait que l’une soit mise en sourdine pour qu’émerge l’autre.
Mais il se trouve que cette façon de voir les choses n’est pas seulement erronée, elle est aussi dangereuse pour un pays comme la Guinée qui a encore du mal à prendre son envol vers l’émergence.
Pourtant, la démocratie, bien qu’elle ne soit pas tout à fait parfaite, si elle n’est pas un allié du progrès dont on rêve, n’en représente pas un obstacle, en tout cas pas un blocus. Il suffit d’imaginer son absence pour s’en convaincre. C’est ce paradoxe fondamental qu’exprimait éloquemment Winston Churchill en ces termes: « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes. »
Pouvons-nous bâtir une nation de rêve où la pluralité des opinions, où l’expression légitime et souveraine des voix du peuple à travers des élections crédibles, où le respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens sont étouffés ? A-t-on d’ailleurs besoin de sacrifier ces règles pour s’inscrire dans une dynamique de développement ? Bien sûr que non, si les intentions et actions sont réellement au nom du peuple. Puisqu’on ne devrait pas décider de son destin à son insu, en dépit de lui-même.
Ce débat n'est pas sans lien avec des agissements peu démocratiques du régime en place dans notre pays. C'est justement pour tenter de justifier ce régime qu’on a invoqué cette thématique qui voudrait que la démocratie soit sacrifiée pour le développement, ou que celle-ci soit mise en veilleuse pour que vive celui-là ; comme si cela était une condition incontournable.
Lorsqu’on prête attention aux raisonnements de ceux qui voudraient qu’on oublie les principes démocratiques, ils évoquent comme argument que la démocratie n’a jamais marché pour ce pays ; qu’elle aurait causé plus de dégâts que d’avancées, et qu’il serait préférable qu’elle s’adapte aux réalités du pays. Ainsi, on se permet, tout bonnement, de faire le bilan de la démocratie et on la peint simplement avec une couleur sombre. Cependant, on ne se rend pas compte qu’il s’agit là d’un procès mal situé et qui ne pourrait donner, par conséquent, qu’une solution impertinente.
Comment un pays qui n’a jamais su appliquer les règles basiques de la démocratie, peut-il désigner celle-ci comme la cause de ses problèmes ? Un pays qui n’a jamais connu une alternance démocratique – c’est-à-dire un transfert de pouvoir d’un régime issu des urnes à un autre – depuis son indépendance, peut-il être crédible pour faire le procès de la démocratie ?
Le premier président, Ahmed Sékou Touré, a régné durant 26 ans – de 1958 en 1984, lui seul, jusqu'à son dernier jour. Celui qui lui a succédé, Lansana Conté, est arrivé par un coup d'État. Ce dernier aussi présidera la destinée de la Guinée pendant 24 ans, de 1984 en 2008, c'est-à-dire jusqu'à sa mort, lui aussi. Un autre coup d'État a emmené le Capitaine Moussa Dadis Camara au pouvoir. Lui n'aura pas la même chance que ses prédécesseurs. Il ne fera, entre décembre 2008 et janvier 2010, qu'une année et une vingtaine de jours au pouvoir. On le sait, une tentative de meurtre l'a mis à la touche. C'est à la suite de l'Accord de Ouagadougou, du 15 janvier 2010, que le Général Sékouba Konaté se verra confier la transition pour organiser des élections libres et transparentes. Elles auront lieu, ces élections, non sans tumultes, non sans effusion de sang. Au final, c'est le Professeur Alpha Condé qui sera déclaré vainqueur, devenant ainsi, vers fin 2010, le premier président que les Guinéens auront par l'élection.
Celui qui était considéré comme l'opposant historique, après ses deux mandats comme prescrit par la constitution qui a servi de base légale à son élection et à son exercice du pouvoir, en voudra un autre. Ainsi, il s'est taillé une nouvelle constitution à son goût pour pouvoir demeurer au pouvoir, sans doute jusqu'à sa mort, en tout cas c'était cela l'intention. Il venait de manquer, lui qui avait suscité tant d'espoirs, une grande occasion pour être le premier président guinéen à réaliser l'alternance démocratique. Il a fallu, le 5 septembre 2021, à peu près une année après le début de son mandat de trop, qu'un groupe de militaires, commandé par le Colonel Mamadi Doumbouya, mette fin à son rêve. Donc un nouveau coup d'Etat.
Depuis ce fameux 5 septembre, le Général est à la commande des affaires, sans élection bien sûr. Conclusion ? Les Guinéens ignorent toujours ce qu’est une véritable alternance démocratique.
Alors, à quel bilan fait-on allusion en parlant de la démocratie ?
Pour faire le procès de celle-ci, ne serait-il pas sage qu’on respecte, au préalable, au moins, ses principes élémentaires ? Avons-nous réellement connu un pouvoir sincèrement respectueux des valeurs démocratiques depuis 1958 ?
Le premier régime a imposé le système de parti unique, où la pluralité d'opinions n'avait pas cours. Le deuxième régime n'a jamais accepté l'alternance démocratique. Les militaires qui sont venus après, sous l'appellation du CNDD, ont commis l'une des plus grandes atrocités que le pays n'ait jamais connues au stade du 28 septembre, parce qu'une grande partie du peuple s'opposait à une éventuelle candidature du chef de la transition d'alors, le Capitaine Dadis Camara. Le troisième régime, celui d'Alpha Condé, a passé tout son temps à réprimer les manifestations d'opposition. Et le pouvoir actuel ne brille que par sa capacité à faire taire toutes les voix discordantes, y compris les médias dérangeants. Alors, en vertu de quelle expérience peut-on se croire investi à faire le diagnostic de la démocratie ?
Entre ceux qui violent les règles démocratiques et la démocratie elle-même, à qui peut-on imputer la responsabilité de nos déboires ? Tous ceux qui sont dotés d’un minimum de bonne foi sauront situer la véritable cause de nos errements.
Si la démocratie n’a jamais marché chez nous, c’est parce qu’on lui a toujours coupé les jambes. C’est tout aussi une victime, et non la coupable.

Juriste-Publiciste titulaire d'un Master en droit de l'environnement, des mines et du développement ...
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