« Nous sommes en janvier. L’occasion de présenter les nouvelles tendances de l’année qui vont bouleverser les pratiques du marketing et de la communication ». Voilà une phrase à laquelle il faudra très certainement s’attendre en début de chaque nouvel an.
Chaque année, communicants, marketeurs ou chargés de veille concurrentielle voient apparaître sur les Dashboard de leur outil de veille, des articles de revues ou de blogs évoquant des grandes tendances à suivre. Ces informations sont alors partagées aux équipes sous forme de Newsletter ou d’alerte. C’est à croire que l’arrivée d’un nouvel an est toujours synonyme de nouveauté et donc d’innovation. On confond même innovation incrémentale et innovation de rupture. Mais passons. En effet, la nouveauté dont on parle n’en est rien en réalité. Il s’agit somme toute d’un phénomène qui tend à s’ériger en norme.
Au-delà de simples pratiques marketing, ce qu’on appelle « nouvelles tendances » est maintenant présent dans tous les secteurs d’activité, à quelques exceptions près. Cap sur ces phénomènes dits de tendances qui influencent les pratiques de travail et qui menacent le professionnalisme, notamment les métiers de l’information et de la communication.
Suivre les tendances de son secteur d’activité est normal. Il faut être à l’affût de l’actualité pour comprendre les dynamiques en cours et les évolutions à venir. C’est une des meilleures manières de s’adapter ou d’être résilient. D’où l’importance de la veille dans tous les métiers, des plus simplistes aux plus complexes. Toutefois, lorsque tous les semestres de l’année, on voit émerger de nouvelles tendances, lesquelles invitent ou forcent les professionnels de la communication, du marketing ou même de l’information à s’adapter, c’est là tout le débat. La question qu’il convient de se poser face à ce phénomène grandissant, est de savoir : qui décide que telle pratique est une nouvelle tendance ? Comment détermine-t-on ce qu’est une nouvelle tendance ? Pourquoi avons-nous droit à une liste de nouvelles tendances décidée de manière subjective et aléatoire ?
Autant d’interrogations qui méritent une prise de recul nécessaire de la part de tous les praticiens de la communication et du marketing. Car nous sommes arrivés à un stade où ce qu’on appelle nouvelle tendance a influencé subtilement l’évolution des métiers de l’information et de la communication. Il est venu le moment où la rigueur, la science cèdent le pas à la facilité et au mouvement de quelques personnes sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, Mercedes Erra, la présidente et co-fondatrice de BETC, une des premières agences de publicité en Europe, confiait dans une master classe intitulée Convaincre et porter ses idées les propos suivants : « Les gens pensent que tous les ans on a des tendances. Mais non, ça, c’est la mode. C’est parce que les créateurs disent c’est rouge cette année, ils font ce qu’ils veulent en fait. C’est ça la tendance, ce qu’ils veulent. Nous, ce n’est pas ça, c’est ce que les êtres humains ont au fond d’eux-mêmes. Et donc, ça ne bouge pas du jour au lendemain, tout ça va très lentement ».
Du fait d’avoir accepté cette idée de nouvelle tendance, nous en sommes arrivés à devoir se justifier face à des polémiques qui enflent de plus en plus. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour dans les rédactions de grands médias ou d’observer les couvertures des manifestations organisées dans les grandes métropoles.
Thomas Sotto, journaliste et animateur du JT de France 2, a fait part de sa crainte dans un entretien au Point, de l’influence des réseaux sociaux sur la ligne éditoriale des médias. Il affirme que les réseaux sociaux font beaucoup de mal aux métiers de journalisme, car pour lui, « on leur donne une importance disproportionnée. Il y a une phrase que je ne supporte plus d’entendre dans les rédactions, c’est ‘ça monte sur les réseaux sociaux’ ». Il confie plus loin : « Les médias ne sont pas des réseaux sociaux. Aujourd’hui, le métier de journaliste est en danger. Il faut choisir son camp : l’information ou le buzz, l’offre ou la demande ». L’actualité lui donne raison. L’on se souvient de la démission de Xavier Gorce, alors dessinateur depuis 18 ans pour Le Monde.
Une démission causée par un article intitulé A nos lecteurs, signé par la directrice de la rédaction du quotidien du soir, Caroline Monnot. Cet article faisait suite à une polémique alimentée par quelques personnes sur le réseau social Twitter à la suite de la publication Repères familiaux, un dessin de Gorce.
Toujours dans le domaine du journalisme. On voit apparaître une autre pratique, poussée par les mêmes nouvelles tendances. Lorsqu’on a un téléphone avec une bonne résolution et un stabilisateur, on peut devenir journaliste. Observons pour cela les pages qui font des directs lors de grandes manifestations. Ce ne sont pas des journalistes mais des personnes lambdas qui ont compris la marche du monde. On les appelle même journalistes citoyens. Mais quel magma ! Leur nombre d’abonnés monte en flèche à chaque « couverture » d’événement. Ils font maintenant des formats ressemblant à des interviews ou des entretiens. Indiscutablement, ils font de l’audience. Parce qu’on a accepté la dictature des nouvelles tendances, alors ils réclament une carte de presse, estimant qu’ils font le même travail que celui d’un reporter. Plus besoin de passer des années dans une école de journalisme ? C’est aussi cela la tendance.
Les communicants, traditionnellement connus pour leur secret et la rareté de leur parole, se sont laissés fascinés par ce même phénomène : l’obsession de la visibilité et du branding. Le communicant, dont le travail n’est nullement de se mettre en avant mais de rester dans l’ombre pour cuisiner les grandes stratégies, est devenu un éditorialiste, passant de plateau en plateau pour décrypter l’actualité.
Or, il est contradictoire et même incompatible de vouloir travailler sur la notoriété et l’image d’une marque et se mettre soi-même en scène. De deux choses l’une. Soit on est communicant et on agit conséquemment ou on ne l’est pas et on continue à faire le tour des plateaux. Le branding est fait pour les dirigeants ou les personnalités. Dans le milieu fermé de la communication politique, de tels comportements ont des incidences directes sur la perte de confiance entre cabinets de conseil et clients. Les clients souhaitent travailler avec des gens qui savent garder des secrets et par conséquent, se priver de toute action de théâtralisation les concernant. Un communicant doit aimer l’ombre sans pour autant se résigner à l’anonymat.
Nouvelle tendance, ah bon ? En mars 2020, une agitation tous azimuts, qui a gardé en haleine toute la sphère internet à la suite du lancement de l’application Clubhouse, est un véritable cas d’école. Clubhouse, une application reposant sur l’audio a été valorisée en bourse à plus d’un milliard de dollars. En moins d’une semaine, plus d’un million de téléchargements ont été comptabilisés. L’application a vite été qualifiée de révolution. Pourtant, cette idée de révolution est historiquement et factuellement contestable. Qu’il s’agisse de Clubhouse ou des podcasts, tous sont nés sur « les cendres » de la radio. Cendres parce que la radio, autrefois média de l’intime, celui du mystère, de la voix sans le visage, a succombé aux nouvelles tendances. Elle qui était censée être intime, a décidé d’ouvrir sa fenêtre de tir au spectacle. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, toutes les radios, en somme l’effet de mode, se sont mises à créer des pages Facebook et diffuser en direct. En faisant cela, elles ont rompu avec leur tradition. Maintenant, la radio, ce n’est plus la voix, c’est en quelque sorte, un média à cheval entre la vidéo et l’audio.
Les agences, les cabinets tous bientôt challengés et remises en cause ? Cette vidéo, qui a fait plus d’onze millions de vues est une des nombreuses illustrations de là où pourraient nous mener les nouvelles tendances. Avec un téléphone IPhone, une light box, un endroit spécifique, etc., les studios créa vont-ils devoir fermer boutique ?
Devrait-on s’étonner demain de voir la VOD remplacée le cinéma et Internet les livres ? L’école est prise à partie et sa raison d’être de plus en plus contestée. On voit bien qu’au-delà de la profession communication et marketing, c’est un pan entier de la société qui vacille. La communication devrait-elle continuer à subir le diktat des nouvelles tendances à l’ère du numérique ou va-t-elle résister en embrassant bien sûr la modernité tout en gardant sa singularité ?