Ils y étaient tous réunis hier par et pour le football, leur passion commune. Ces jeunes gens ne se souciaient guère de l’identité politique de ceux qui ont organisé ce malheureux tournoi, encore moins de l’agenda pour le compte duquel les vautours politiques en provenance de Conakry avaient fait le déplacement. Ils sont simplement venus, en nombre impressionnant, pour apporter leur soutien à leur équipe locale qui renaît, réaffirmer leur amour pour leur ville longtemps étouffée par d’innombrables tragédies. 

Car oui, en termes de tragédie, la ville de N’ZÉRÉKORÉ est un vilain exemple. L’histoire de notre déliquescence politique nationale y a été particulièrement longue. Mais la ville la plus cosmopolite de la Guinée semblait, dans une relative fragilité et grâce à une certaine politique de compromis entre les notables des deux grandes communautés qui ont souvent été la source de drames successifs, en avoir fini avec cette épouvantable odyssée. 

Il n’est peut-être pas utile de rouvrir toutes ces plaies, de lever le voile sur certaines cicatrices. Car la pluie de la réconciliation difficile a déjà nettoyé les traces de certains ressentiments. Mais il existe encore dans le subconscient des habitants mille et un souvenir impossible à camoufler. La ville traîne quelques-unes de ces ombres exsangues qui continuent à hanter les témoins de ces horribles scènes. 

Les affrontements du 15 au 17 Juillet 2013 ont engendré une centaine de morts. Des ethnies qui vivent en paix des siècles durant se sont fait la guerre, sous le regard indifférent d’une République moribonde qui n’arrive pas, depuis sa naissance, à honorer sa promesse de construire un havre de paix pour ses filles et fils. 

Bien avant, ce sont de pauvres paysans qui furent massacrés à Zogota. On pourrait aussi parler de Womè, évoquer l’ignominie de Galakpaï. A chaque fois, ce sont des citoyens qui meurent. C’est une ville endeuillée qui s’enfonce. C’est l’espoir d’un vivre ensemble qui se brise.

Et puis les années ont passé. Sur les cendres de la haine, le temps a fait renaître l’espoir. Les habitants ont réappris à se parler, à se côtoyer et peut-être aussi à se pardonner. 

Ensemble, ils voulaient raconter une autre histoire, montrer une autre facette de leur joyau cosmopolite. Le football professionnel les avait quittés en 2008, quand le pouvoir d’alors a confié à Guicopres le projet de rénovation du complexe sportif connu sous le nom du « 03 avril ». Ils ont rêvé d’un complexe moderne répondant à minima aux normes internationales. Les travaux avaient démarré et les promesses sur le point de se concrétiser. Mais le sentier à été soudainement interrompu, tuant encore une fois les rêves d’une jeunesse sportive qui avait faim d’aventures et de projections dans les possibilités d’un futur radieux. 

Ce stade multisport, impraticable et à l’abandon, resta figé dans un état végétatif pendant 15 ans sans jamais que l’Etat ne fasse quoi que ce soit. Aucune enquête n’a été ouverte sur les raisons de cette interruption brusque, ni même sur la façon dont les fonds alloués à la construction de ce complexe ont été utilisés. De nombreuses carrières ont été détruites ; de nombreux rêves ont été confisqués –  faute de stade pour exprimer, peaufiner, et promouvoir différents talents. 

Et comme par hasard, des travaux de bricolage auraient été récemment effectués pour que se tienne dans ce stade abandonné à lui-même un tournoi de propagande. Pour une fois que leur équipe était finaliste – peu importe la couleur de la compétition – ces jeunes venus assister au match d’hier voulaient seulement s’amuser, s’extraire, le temps de quelques minutes, de leur condition indigente. 

Malheureusement, aucune mesure de sécurité adéquate n’a été prise pour les protéger d’un éventuel danger, en dépit de l’existence avérée de risques quant à la capacité d’accueil d’un tel stade, inachevé, délabré entre-temps, et donc dangereux comme lieu de réception de grandes foules. 

Or parce qu’il n’y a que leurs calculs politiques qui comptent à leurs yeux, les organisateurs ont royalement ignoré la gravité des risques potentiels qu’un dérapage aurait pu engendrer. D’aucuns diront, non sans justesse, que les autorités auraient dû prendre les précautions qui s’imposent dans une telle situation pour atténuer un danger pourtant prévisible. 

Mais il y a encore mieux à dire : il ne fallait tout simplement pas organiser un tel événement dans un tel stade. Gouverner, c’est prévoir. Et que fallait-il donc prévoir ici ? Que le stade, étant donné son piteux état de délabrement avancé, aurait pu s’effondrer. Que, dans un tel contexte, d’éventuelles bousculades – prévisibles quand on connait la mentalité et la fougue tragique de la jeunesse chez nous – auraient été catastrophiques. Malgré tous ces risques plausibles, rien n’a été fait. Les jeunes ont par conséquent été conduits à l’abattoir par des politicards désespérants venus dans leur ville pour momifier un homme, subtiliser l’avenir d’une génération. 

Aujourd’hui, par la faute de l’Etat, des familles sont en larmes, inconsolables. La ville de Zaly enregistre ainsi, une fois de plus, une fois de trop, sur son tableau macabre, des morts qui auraient pu être évitées. 

Voilà que la Guinée est donc à nouveau en deuil, outrée et complètement effondrée, devant la mémoire de ses enfants tombés parce qu’ils ont voulu profiter d’un match de foot. L’heure est à la responsabilité. La justice doit sévir et les coupables mis aux arrêts. Mais n’est-ce pas là, quand on connaît les tabous et les calculs égoïstes qui colonisent la moindre prise de décision politique en Guinée, un espoir plein d’illusions !