À la une, Essais • 21 mai 2025 • Ousmane Camara
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L’histoire du SNABE est un avertissement sur la manière dont l’ambition personnelle peut faire dérailler une institution destinée au bien public.
Le Service National des Bourses Extérieures (SNABE), institution étatique guinéenne chargée de gérer les bourses d’études internationales pour les étudiants guinéens, était censé être un symbole d’opportunité. Conçu pour former l’élite intellectuelle de la nation à travers des partenariats stratégiques avec des gouvernements et institutions étrangers, le SNABE incarnait les aspirations de la Guinée à l’excellence éducative et à l’intégration mondiale. Cependant, sous la direction de Mohamed Bamba Camara, ancien Directeur Général, l’institution a sombré dans une crise marquée par des allégations de corruption, de népotisme, de mauvaise gestion et de démantèlement délibéré de ses principes fondateurs.
Ce rapport d’investigation explore la transformation du SNABE, autrefois Office National des Bourses Extérieures (ONABE), en un service gangréné par un contrôle autoritaire, un chaos administratif et la marginalisation des employés et des étudiants. En me fondant sur des témoignages, des documents officiels et des archives, je raconte une histoire tragique. Il s’agit donc d’un récit où des ambitions personnelles ont pris le dessus sur les mandats institutionnels, ce qui a entraîné la précarité financière et psychologique de milliers d’étudiants guinéens étudiant à l’étranger. Cette situation a également poussé plusieurs fonctionnaires à abandonner leur emploi. Au cœur de ce récit se trouve l’opposition entre la vision d’autonomie et de transparence qui caractérisait l’ONABE et les tendances dictatoriales qui ont défini le SNABE sous le règne de Bamba.
La genèse de l’ONABE – une vision d’autonomie et d’excellence
Avant sa transformation en SNABE, l’Office National des Bourses Extérieures (ONABE) fonctionnait comme un Établissement Public à caractère Administratif (EPA), doté d’une autonomie financière et managériale. Créé pour mettre en œuvre la politique guinéenne en matière d’éducation internationale, l’ONABE avait pour mission de sécuriser des bourses, de gérer les paiements des étudiants et d’assurer le rapatriement des diplômés guinéens. Sa mission était ambitieuse : former une génération de professionnels hautement qualifiés capables de contribuer au développement de la Guinée grâce à une éducation à l’étranger.
La structure organisationnelle de l’ONABE était soigneusement conçue pour soutenir cette mission. À sa tête se trouvait un Directeur Général, lequel était secondé par une Directrice Général Adjointe, avec un cadre robuste de divisions et de sections garantissant une efficacité opérationnelle. Les principaux composants comprenaient :
Direction : Le Directeur Général et son adjoint supervisaient les décisions stratégiques, le Directeur Général étant nommé par décret présidentiel sur proposition du Ministre Directeur de Cabinet.
Service Administratif et Financier : Cette unité gérait le budget de l’institution, les ressources humaines et la logistique opérationnelle.
Chargé à l’Exécution : Un officier dédié à la mise en œuvre des décisions et à l’exécution fluide des programmes.
L’ONABE était également divisé en trois divisions principales, chacune comprenant des sections spécialisées :
Division des Études, Programmation et Coopération : Cette division était le pivot des opérations de l’ONABE, comprenant trois sections :
Coopération : Chargée de négocier les accords de bourses avec les gouvernements et institutions étrangers.
Études et Programmation : Responsable de la planification et de l’attribution des bourses en fonction des priorités nationales.
Prospection : elle était chargée d’identifier de nouvelles occasions d’études à l’étranger.
Division des Statistiques et Affaires Consulaires : Cette division suivait les données des étudiants et collaborait avec les ambassades guinéennes pour soutenir les étudiants à l’étranger.
Division de la Logistique : Gérait les arrangements de voyage, y compris les billets et les visas, à travers des sections dédiées.
Un secrétariat central, distinct du bureau du Directeur Général, assurait une communication et une documentation efficaces au sein de l’organisation. Cette structure reposait sur un cadre juridique solide, comprenant :
Arrêté d’Attribution des Bourses : Le décret régissant l’allocation des bourses.
Arrêté de Renouvellement des Bourses : Le décret pour le renouvellement annuel des bourses.
État de Paie : Le document de paie détaillant les allocations des étudiants.
Autres Documents Juridiques : Il s’agit des règlements définissant les opérations de l’ONABE et le comportement de son personnel, supervisés par la Haute Autorité des EPA, l’organisme de contrôle des institutions publiques en Guinée.
Ce cadre conférait à l’ONABE une autonomie significative, lui permettant de recruter du personnel, de gérer des budgets et de négocier des accords internationaux de manière indépendante. L’institution opérait sous la tutelle technique du Ministre Directeur de Cabinet et la supervision financière du Ministère des Finances, équilibrant autonomie et responsabilité.
Leadership sous Dr. Mohamed Dioubaté
À son apogée, l’ONABE était dirigée par Dr. Mohamed Dioubaté, avec feu Madame Souaré comme Directrice Générale Adjointe. La Division des Études, Programmation et Coopération était dirigée par M. Abou Souaré, un professionnel chevronné avec 17 ans d’expérience (2012–2021). Cette division jouait un rôle central dans l’obtention de bourses grâce à une collaboration avec trois ministères clés : les Affaires Étrangères, la Coopération et le Plan, ainsi qu’avec les institutions éducatives des secteurs préuniversitaire, supérieur et technique.
Le leadership d’Abou Souaré fut déterminant dans l’expansion du portefeuille des bourses internationales destinées à la Guinée. Sa division travaillait sans relâche pour établir des partenariats avec des pays comme le Maroc, la Chine, la Russie et plusieurs autres, garantissant aux étudiants guinéens un accès à une éducation de qualité à l’étranger. Cependant, l’autonomie qui définissait l’ONABE n’était pas sans défis. Une restructuration proposée pour formaliser le rôle de Directeur des Études, Programmation et Coopération était en attente de validation par le Ministre Directeur de Cabinet, Dr. Mohamed Diané, lorsqu’un bouleversement majeur survint – la nomination de Mohamed Bamba Camara comme Directeur Général.
La transformation de l’ONABE en SNABE – une descente dans la dictature
Par un décret du 13 mai 2022 (D/2022/0237/PRG/CNRD/SGG), le général Mamadi Doumbouya, président de la transition guinéenne, a restructuré l’ONABE en Service national des bourses extérieures (SNABE). Officiellement, cette décision vise à rationaliser les opérations et à aligner l’institution sur la vision du gouvernement. Cependant, sous la direction de Mohamed Bamba Camara, cette transition marqua le début d’une ère troublante caractérisée par un contrôle autoritaire, un abus administratif et l’érosion de l’intégrité institutionnelle.
La nomination de Bamba fut accueillie avec scepticisme par le personnel de l’ONABE, qui le considérait comme un produit du système qu’il cherchait à réformer. Ancien bénéficiaire du programme de bourses de l’ONABE, Bamba manquait de l’expérience administrative nécessaire pour diriger une institution complexe. Pourtant, son mandat sera marqué par une volonté agressive de centraliser le pouvoir, marginalisant les cadres expérimentés et ignorant les protocoles établis.
Démantèlement du cadre juridique
L’une des premières actions de Bamba fut de créer une commission chargée de réviser le règlement intérieur du SNABE. Au lieu de réaliser un bilan des forces et des faiblesses de l’institution, Bamba imposa sa propre vision, laquelle mettait l’accent sur son autorité plutôt que sur la responsabilité institutionnelle. Il remplaça les arrêtés de longue date – décrets ministériels nécessitant la supervision de plusieurs parties prenantes – par des décisions unilatérales signées uniquement par lui-même. Cette décision retira tout contrôle ministériel sur les processus clés, transformant le SNABE en un fief sous le commandement de Bamba.
La transformation des arrêtés en décisions n’était pas seulement procédurale ; c’était une stratégie délibérée pour consolider le pouvoir. Bamba contourna les ministères des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Éducation, assurant ainsi qu’aucune autorité externe ne pourrait contester ses directives. Cette démarche inquiéta des cadres supérieurs, en particulier Abou Souaré, qui avertit que de tels changements menaçaient la transparence et les fondations juridiques de l’institution. Malgré plusieurs tentatives pour conseiller Bamba, son refus d’écouter prépara le terrain pour une campagne plus large d’intimidation et de marginalisation.
Restructuration de l’organigramme : Des divisions aux directions
L’ambition de Bamba s’étendit à la structure organisationnelle du SNABE. Les trois divisions – Études, Programmation et Coopération ; Statistiques et Affaires Consulaires ; et Logistique – furent remplacées par trois nouvelles « directions techniques » conçues pour refléter la vision de Bamba :
Direction des Études Techniques et de la Programmation : Cette direction absorba les fonctions de l’ancienne Division des Études, Programmation et Coopération, mais omit de manière flagrante les composantes essentielles de la coopération et de la prospection. Bamba jugea ces fonctions sans importance, malgré leur rôle dans l’obtention de bourses et le maintien des partenariats internationaux.
Direction de l’Innovation et de la Communication : Une entité nouvellement créée sans mandat clair, cette direction semblait servir de plateforme pour les efforts de relations publiques de Bamba plutôt que de faire avancer la mission principale du SNABE.
Direction de la Logistique : Cette direction conservait certaines fonctions de l’ancienne Division de la Logistique, mais fut restructurée pour s’aligner sur le contrôle centralisé de Bamba.
En plus de ces directions, Bamba introduisit de nouveaux rôles, notamment un Directeur des Affaires Administratives et Financières (DAF) et un Conseiller Juridique chargé de la gestion des ressources humaines plutôt que de la supervision juridique. Ces changements perturbèrent l’efficacité opérationnelle du SNABE, les employés expérimentés étant mis à l’écart au profit de loyalistes aux compétences limitées.
La purge des cadres expérimentés
Bamba a dirigé son équipe en suivant un mantra glaçant attribué au ministre Djiba Diakité : « Éliminez tous les cadres expérimentés. » Cette directive, répétée quotidiennement pour intimider le personnel, créa une atmosphère de peur et de méfiance. Les cadres supérieurs, dont beaucoup occupaient des rangs hiérarchiques A2 et possédaient plus de 10 ans d’expérience, furent systématiquement marginalisés. Certains s’enfuirent vers d’autres services gouvernementaux, tandis que d’autres, comme Abou Souaré, furent directement persécutés.
Auparavant une personne respectée au sein de l’ONABE, Abou Souaré perdit son poste, sa chaise ainsi que ses fonctions. Réduit à signer des feuilles de présence quotidiennement, il devint un symbole de la vendetta de Bamba contre l’héritage de l’institution. Dans un acte particulièrement odieux, Bamba prétendit faussement que Souaré et d’autres avaient demandé des transferts au Ministère de l’Enseignement Supérieur, utilisant ce prétexte pour le suspendre indéfiniment pour abandon de poste. Cette décision fut rendue possible avec la complicité du conseiller juridique de Bamba, mettant en évidence la culture de la fraude qui dominait au sein de ce qu’était devenu le SNABE.
L’exode des talents sera stupéfiant. Certains cadres cherchèrent des opportunités à l’étranger, notamment au Nicaragua, tandis que d’autres approchèrent volontairement Bamba pour demander des transferts, incapables de supporter l’environnement de travail toxique. La perte de la mémoire institutionnelle fut incalculable, tandis que la capacité du SNABE à gérer les bourses et à soutenir les étudiants se détériorait.
Une croisade malavisée: le début de la tragédie des étudiants guinéens à l’étranger
Le mandat de Bamba fut marqué par une campagne controversée visant à éliminer les étudiants « fictifs » – ceux qui seraient bénéficiaires de bourses sans être inscrits dans des programmes académiques. Il affirma notamment que « neuf étudiants sur dix » à l’étranger étaient fictifs, une allégation restée sans preuves et dont l’implémentation de la conséquence qu’en tirait Bamba va royalement ignorer le cadre juridique du SNABE. Plutôt que de procéder à un audit approfondi basé sur les arrêtés d’attribution, de renouvellement et les états de paie, Bamba et ses consultants retirèrent arbitrairement des étudiants des listes de bourses, plongeant des milliers d’entre eux dans une détresse financière.
Dans le contexte du SNABE, un étudiant « fictif » est défini comme une personne recevant un soutien financier, moral et éducatif sans être inscrite dans les documents officiels. Cependant, l’approche de Bamba ignora cette définition, ciblant des étudiants légitimes dont les documents étaient en règle. Les conséquences furent désastreuses :
Précarité financière : Des étudiants dans des pays comme le Maroc, la Chine et la Russie se retrouvèrent sans allocations, incapables de payer les frais de retour, le loyer ou les dépenses de base. D’autres se débrouillèrent pour survivre, une omission de deux ans sans recevoir de complément de bourses.
Perturbation académique : De nombreux étudiants furent contraints d’abandonner leurs études, les universités expulsant ceux qui ne pouvaient régler leurs frais.
Péage émotionnel : L’incertitude et l’abandon par leur gouvernement laissèrent les étudiants se sentant trahis, certains recourant à des emplois précaires ou à des activités illégales pour survivre.
Abou Souaré tenta d’atténuer la crise en rédigeant une note technique proposant un examen systématique des dossiers des étudiants. Cependant, sa proposition ne rencontra aucun succès, ce qui aggrava davantage son isolement. Et il devint, pour ainsi dire, la personne désignée par Bamba pour subir sa rage.
Innovations fallacieuses et détournement de fonds
Pour masquer les échecs du SNABE, Bamba lança une série d’initiatives « innovantes » qui étaient, en réalité, des stratagèmes élaborés pour tromper le public et détourner des fonds. Celles-ci comprenaient :
Annonces de bourses fictives : Bamba a fait la promotion de prétendues opportunités de bourses privées dans des pays comme le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni, incitant les étudiants à postuler gratuitement. Ce fut une mascarade : des diplômés ont quitté N’zérékoré, Mamou, presque toutes les régions administratives et la zone spéciale de Conakry. Le coût individuel de ces déplacements était d’au moins 2 000 000 GNF (environ 230 USD). Ces annonces, présentées comme des partenariats avec des institutions internationales, étaient en réalité fabriquées. Ce qui laissa ces candidats abandonnés et financièrement lésés.
Star Student Challenge et Etherna : Ces projets vaguement définis furent vantés comme des plateformes pour identifier et soutenir des étudiants exceptionnels. Cependant, ils manquaient de transparence et n’aboutirent à aucun résultat tangible.
HANDI-BOURSES : Un programme censé soutenir les étudiants handicapés fut entaché de scandale. Bamba obtint un financement d’un consortium chinois pour envoyer des étudiants handicapés à Chypre, mais ceux-ci furent refoulés à leur arrivée. Pour dissimuler le fiasco, Bamba les redirigea vers la Turquie, utilisant le budget opérationnel du SNABE pour financer leur séjour. Des allégations émergèrent selon lesquelles un proche de Bamba faisait partie des bénéficiaires, soulevant des soupçons de népotisme.
Offre de bourse pour la Roumanie : L’annonce de cette bourse gratuite a fait, selon la liste officielle, 217 inscrits qui ont déposé au SNABE des dossiers aux profils variés ( licence, master et Doctorat). Or depuis l’annonce – le 21 Février 2024 – de cette autre bourse, la suite est restée sans effet clair. La dernière publication sur le cas précis de la Roumanie date exactement du 15 mars 2024.
Projet SNABE TV : Une nouvelle initiative de la Direction Générale du Service National des Bourses Extérieures, qui offre un accès direct aux débats sur toutes les procédures de Gestion des Bourses d’Études Extérieures. Ce projet n’a pas pu voir jour ; tout laisse à croire qu’il avait juste été créé pour se faire de l’argent.
Toutes ces initiatives furent accompagnées de campagnes de sensibilisation fastueuses, des rencontres de conférences sans pertinence, avec couverture médiatique et événements orchestrés, conçues pour projeter une image de progrès. Derrière cette façade, cependant, les ressources du SNABE étaient détournées pour financer l’agenda personnel de Bamba, y compris l’emploi de plus de 15 membres de sa famille dans divers rôles.
Népotisme et incompétence : l’ascension des contractuels et des loyalistes
L’administration de Bamba privilégia la loyauté à la compétence, remplaçant les professionnels chevronnés par des travailleurs contractuels et des alliés personnels. Ces contractuels, souvent embauchés pour des tâches subalternes comme la livraison de courriers, furent inexplicablement promus à des rôles décisionnels, malgré leur manque de qualifications pour naviguer dans les opérations complexes du SNABE. Conséquence immédiate : le SNABE n’avait plus aucun cadre pour s’opposer aux décisions – souvent fantaisistes et contreproductives – de Bamba.
Le Directeur Général Adjoint, Koly Camara, était tout aussi inefficace. Ce dernier est d’ailleurs décrit par les initiés du SNABE comme une figure de proue qui se contentait d’accompagner Bamba sans contribuer de manière significative au travail de l’institution. Cette culture de favoritisme s’étendait au recrutement, avec des individus non qualifiés – souvent des amis ou des partenaires romantiques du cercle rapproché de Bamba – intégrés à la masse salariale du SNABE.
Dilapidation administrative
Le leadership de Bamba aura donc été marqué par un manque profond de compétences administratives. Malgré son rôle de Directeur Général, il démontra une compréhension limitée du cadre juridique et opérationnel du SNABE, s’appuyant sur des consultants dépourvus de connaissances institutionnelles. Son refus de respecter les procédures établies, comme les arrêtés, conduisit à une prise de décision chaotique et à une mauvaise gestion financière.
Le détournement du budget opérationnel du SNABE pour couvrir le fiasco des bourses Chypre-Turquie en est un exemple. En privilégiant des projets personnels au bien-être des étudiants, Bamba épuisa des ressources qui auraient pu soutenir les boursiers légitimes. L’absence de supervision, facilitée par le remplacement des arrêtés par des décisions, permit à ces abus de passer inaperçus.
L’auberge des conséquences : Et après le limogeage de Bamba et Camara ?
Le 9 mai 2025, le Général Mamadi Doumbouya émit un décret limogeant Mohamed Bamba Camara et Koly Camara de leurs fonctions de Directeur Général et Directeur Général Adjoint, respectivement. Ils furent remplacés par Aboubacar Camara et Abou Nabé, tous deux économistes, signalant un possible virage vers la professionnalisation. Le décret, annoncé à la télévision nationale, ne mentionna pas de raison officielle de ces limogeages, mais des sources suggèrent que les plaintes croissantes des étudiants, du personnel de la société civile, des médias en furent la cause.
Ce limogeage fut accueilli avec un optimisme prudent. Pour beaucoup, il représentait une opportunité de restaurer l’intégrité du SNABE et de répondre à la souffrance des étudiants à l’étranger. Cependant, la nouvelle direction fait face à une tâche colossale : reconstruire une institution vidée par la mauvaise gestion, rétablir la confiance avec le personnel et les étudiants, et renouer des partenariats internationaux érodés sous le mandat de Bamba.
Le coût humain
La crise au SNABE a eu un lourd tribut. Des milliers d’étudiants guinéens, abandonnés dans des pays étrangers, font face à un avenir incertain. L’histoire d’Abou Souaré, un professionnel dévoué réduit à un paria, souligne la dévastation personnelle causée par le régime de Bamba. L’exode des cadres expérimentés a laissé le SNABE comme une coquille vide, sa mémoire institutionnelle presque effacée.
Au-delà de ses victimes immédiates, cette crise reflète des problèmes systémiques plus larges dans l’administration publique guinéenne : la primauté de la loyauté sur le mérite, l’absence de responsabilité et la vulnérabilité des institutions autonomes aux interférences politiques. La transformation du SNABE d’un office en un service, censée améliorer l’efficacité, a au contraire facilité l’emprise autoritaire de Bamba, soulevant des questions sur l’engagement du gouvernement envers la réforme institutionnelle.
Face à l’urgence : défis et priorité d’une crise humanitaire et institutionnelle sans précédent
Le décret présidentiel limogeant M. Mohamed Bamba Camara et M. Koly Camara a marqué un tournant pour le Service National des Bourses Extérieures (SNABE). Les nouveaux responsables héritent d’une institution en ruines, confrontée à une crise à la fois humanitaire et institutionnelle. Le défi le plus pressant est clair : des milliers d’étudiants guinéens à l’étranger n’ont pas reçu leurs complément de bourses depuis neuf mois, une situation qui a plongé ces boursiers dans une précarité extrême. Cette urgence exige, sans équivoque, une action immédiate pour payer les étudiants. Mais il faudra aussi –et surtout – poser les bases d’un diagnostic approfondi pour redresser une institution dévastée par la mauvaise gestion, le népotisme et l’abandon des principes fondateurs de l’ancien Office National des Bourses Extérieures (ONABE).
Les nouveaux responsables font face à une situation difficile, car ils doivent regagner la confiance des étudiants, du personnel, des partenaires internationaux et du public guinéen. La suspension des paiements a non seulement mis en péril l’avenir académique des boursiers, mais elle a également terni la réputation de la Guinée sur la scène internationale. Quelles mesures immédiates les nouveaux responsables doivent-ils prendre pour faire face à une crise aussi profonde qu’inédite ? Il est manifeste qu’ils doivent, dans un début, faire un travail de diagnostic approfondi pour garantir la possibilité d’une réforme effective et durable.
L’urgence absolue : Payer les boursiers immédiatement
Le non-paiement des allocations pendant neuf mois a transformé la mission éducative du SNABE en une crise humanitaire. Cela s’ajoute au cas de boursiers guinéens qui n’ont pas reçu leur bourse complémentaire pendant deux ans de suite. Bamba avait en effet mis de côté leur dossier sans succès. Ces étudiants guinéens, dispersés dans des pays comme le Maroc, la Chine, la Russie, l’Inde et Cuba, se retrouvent dans une situation désespérée. Sans fonds pour couvrir les frais de logement, le billet de retour, la nourriture ou les soins médicaux, beaucoup ont été expulsés de leurs universités. Ils ont ainsi été contraints à des emplois précaires ou, dans les cas les plus extrêmes, à des activités illégales pour survivre. Certains témoignages font état d’une insupportable misère pour ceux qui ont quitté leur pays avec la promesse d’un certain cadre et d’un certain soutien financier pour leur réussite académique. Que disent donc ces témoignages ? Un grand nombre d’étudiants boursiers guinéens vivent dans des conditions insalubres et sont incapables de retourner en Guinée par manque de moyens. Cette situation, qualifiée de « trahison » par les boursiers, a engendré un sentiment profond de désespoir et d’abandon.
Pour les nouveaux responsables, la priorité est limpide : rétablir les paiements des bourses immédiatement. Cette action ne peut souffrir d’aucun délai, car chaque jour sans solution aggrave la détresse des étudiants et compromet davantage leur avenir. Cependant, cette tâche est loin d’être simple. Les défis logistiques, financiers et administratifs, hérités d’une institution désorganisée par la gestion chaotique de Bamba, sont manifestement immenses. Voici les étapes critiques que les nouveaux responsables doivent entreprendre pour répondre à cette urgence :
Évaluation rapide des dossiers des boursiers : Le SNABE doit mobiliser une équipe pour examiner les documents juridiques fondamentaux – les arrêtés d’attribution, de renouvellement et les états de paie – afin d’identifier les boursiers légitimes. La campagne de Bamba contre les prétendus « fictifs » a semé le chaos dans les registres, avec des étudiants légitimes retirés arbitrairement des listes. Une vérification accélérée, basée sur les dossiers officiels, est essentielle pour rétablir la justice et garantir que les fonds atteignent les vrais bénéficiaires. C’est pourquoi il faudra impérativement impliquer Monsieur Abou Souaré qui a été écarté.
Mobilisation des fonds d’urgence : Le SNABE doit travailler en étroite collaboration avec le Ministère des Finances ou l’institution en charge de l’urgence financière dans pareilles circonstances pour débloquer des fonds d’urgence. Les neuf mois d’arriérés représentent une somme colossale, et il est probable que le budget opérationnel du SNABE ait été épuisé par les détournements sous Bamba, notamment pour des projets comme le fiasco Chypre-Turquie. Les nouveaux responsables devront négocier avec le gouvernement pour obtenir une allocation exceptionnelle, tout en explorant des mécanismes de financement temporaire, comme des prêts ou des contributions de partenaires internationaux.
Coordination avec les ambassades et institutions hôtes : Les ambassades guinéennes à l’étranger doivent être mobilisées pour recenser les étudiants en détresse et négocier avec les universités hôtes afin de suspendre les expulsions académiques en attendant le rétablissement des paiements. Cette coordination est cruciale pour éviter des pertes irréparables, comme l’abandon définitif des études par les boursiers.
Communication transparente avec les étudiants : La méfiance des boursiers envers le SNABE est à son comble. Les nouveaux responsables doivent établir un canal de communication direct, via des plateformes numériques ou des représentants étudiants, pour informer les boursiers des progrès réalisés dans le déblocage des fonds. Une transparence absolue est nécessaire pour restaurer un semblant de confiance et apaiser les tensions.
L’urgence de payer les boursiers ne peut être sous-estimée. Chaque jour de retard aggrave la souffrance humaine et risque de provoquer des manifestations, tant à l’étranger qu’en Guinée, où les familles des étudiants expriment déjà leur colère. Les nouveaux responsables doivent comprendre que leur légitimité dépendra de leur capacité à agir rapidement et efficacement sur ce front. Cependant, payer les boursiers n’est que la première étape ; sans un diagnostic approfondi des causes profondes de la crise, le SNABE risque de retomber dans les mêmes travers.
Poursuivre les diagnostics : Identifier les racines du mal
Si le paiement des boursiers est une priorité immédiate, les nouveaux responsables ne peuvent se permettre d’ignorer la nécessité d’un diagnostic complet de l’état du SNABE. La crise actuelle est le résultat de dysfonctionnements systémiques exacerbés par la gestion autoritaire de Bamba. Sans une analyse rigoureuse, les réformes risquent d’être superficielles, laissant l’institution vulnérable à de futurs abus. Les diagnostics doivent donc couvrir plusieurs dimensions : financière, administrative, organisationnelle et relationnelle. Voici les principaux axes à explorer :
Audit financier exhaustif : Les nouveaux responsables doivent commander un audit indépendant pour retracer l’utilisation des fonds du SNABE sous Bamba. Cet audit indépendant permettra de vérifier les allégations de détournement de fonds, notamment pour des projets tels que les bourses pour personnes handicapées ou les annonces de bourses privées. Les projets comme SNABE TV doivent également être examinés de près. L’objectif est de déterminer si des fonds ont été dilapidés, détournés vers des comptes personnels ou utilisés pour des dépenses non autorisées, comme l’emploi de proches de Bamba. Les résultats de cet audit seront importants pour établir la responsabilité et récupérer, si possible, les fonds perdus.
Examen de la structure organisationnelle : La transformation des divisions de l’ONABE en « directions techniques » par Bamba a désorganisé les opérations et marginalisé des fonctions clés, comme la coopération et la prospection. Les nouveaux responsables doivent évaluer si cette structure est viable ou s’il est nécessaire de revenir à l’organigramme de l’ONABE, qui privilégiait l’autonomie et la spécialisation. Il faudra porter une attention particulière à la réintégration de cadres expérimentés, tels que Abou Souaré, dont l’expertise sera essentielle pour relancer les partenariats internationaux.
Analyse des processus administratifs : Le remplacement des arrêtés par des décisions unilatérales a sapé la transparence et la responsabilité. Les nouveaux responsables doivent restaurer les arrêtés comme base juridique des opérations, tout en examinant les failles qui ont permis à Bamba de centraliser le pouvoir. Un renforcement des mécanismes de contrôle, impliquant les ministères des Affaires Étrangères, de la Coopération et de l’Éducation, est essentiel pour prévenir les abus futurs.
Évaluation des relations internationales : La crise des boursiers a endommagé les relations avec les pays et institutions partenaires. Les nouveaux responsables doivent entreprendre une évaluation des accords existants pour identifier ceux qui ont été rompus ou négligés. Par exemple, en Russie, une source m’a révélé que la Guinée a envoyé des boursiers insuffisamment qualifiés en français ces dernières années, ce qui a entraîné une réduction du nombre de places accordées à notre pays. Des missions diplomatiques seront ainsi nécessaires pour renégocier les termes des bourses et restaurer la confiance des partenaires, notamment dans des pays comme le Maroc, la Russie, l’Inde, la Chine et autres, qui accueillent un grand nombre d’étudiants guinéens.
Consultation du personnel et des boursiers : Un diagnostic efficace ne peut se faire sans l’apport des parties prenantes. Ainsi donc, les nouveaux responsables doivent organiser des consultations avec le personnel actuel et ancien pour comprendre les dysfonctionnements internes. Les boursiers doivent aussi être consultés pour documenter leurs expériences et identifier les obstacles spécifiques auxquels ils sont confrontés. Ces consultations permettront de concevoir des solutions adaptées et de renforcer l’adhésion aux réformes.
Restaurer la confiance et l’efficacité
M. Aboubacar Camara et M. Abou Nabé entrent en fonction dans un climat de méfiance généralisée. Leur mandat sera jugé à l’aune de leur capacité à répondre à l’urgence tout en posant les bases d’une réforme durable. Les attentes sont multiples :
Action rapide et visible : La rapidité avec laquelle ils rétablissent les paiements des boursiers déterminera leur crédibilité. Une inaction prolongée risque de provoquer une escalade des tensions, avec des répercussions politiques pour le gouvernement de transition.
Transparence et responsabilité : Les nouveaux responsables doivent rompre avec la culture d’opacité instaurée par Bamba. Chaque étape – de l’évaluation des dossiers à l’audit financier – doit être communiquée publiquement pour restaurer la confiance.
Engagement envers le mérite : Le népotisme qui a caractérisé l’ère Bamba doit être éradiqué. Les nominations et recrutements doivent se fonder sur la compétence, avec une attention particulière à la réhabilitation des cadres marginalisés.
Vision à long terme : Au-delà de l’urgence, les nouveaux responsables doivent articuler une vision pour le SNABE qui redonne à l’institution son rôle de moteur de l’éducation internationale. Cela inclut la modernisation des processus, la digitalisation des dossiers et le renforcement des partenariats internationaux.
Recommandations pour la réforme
Pour restaurer la crédibilité du SNABE et accomplir son mandat, les mesures suivantes sont impératives :
Rétablir les cadres juridiques : Restaurer les arrêtés d’attribution, de renouvellement et les états de paie comme pierre angulaire des opérations du SNABE, garantissant la supervision ministérielle et la transparence.
Réaliser un audit complet : Enquêter sur les transactions financières de Bamba, y compris le scandale Chypre-Turquie et le détournement des fonds opérationnels, pour tenir les responsables comptables.
Réintégrer les cadres expérimentés : Offrir la réintégration et des réparations au personnel comme Abou Souaré et explorer la possibilité de retour des cadres qui se sont réfugiés à l’étranger, dont l’expertise est cruciale pour la reprise du SNABE.
Soutenir les étudiants abandonnés : Allouer des fonds d’urgence pour rétablir les allocations des boursiers légitimes et négocier avec les institutions d’accueil pour éviter les expulsions académiques.
Renforcer l’autonomie : Reconsidérer le statut du SNABE en tant que service et envisager de restaurer son autonomie en tant qu’EPA, avec des mécanismes robustes pour prévenir les abus futurs.
Promouvoir le recrutement basé sur le mérite : Établir des processus d’embauche transparents pour privilégier la compétence à la connexion, éliminant le népotisme.
Un appel à la justice et au renouveau
L’histoire du SNABE est un avertissement sur la manière dont l’ambition personnelle peut faire dérailler une institution destinée au bien public. Le mandat de Mohamed Bamba Camara, marqué par la démagogie, la dilapidation et le désespoir, a trahi les aspirations de la jeunesse guinéenne et la confiance de son peuple. Pourtant, le limogeage de Bamba et de son adjoint offre une lueur d’espoir – une chance de reconstruire le SNABE comme un phare d’opportunité et d’intégrité.
Pour les étudiants languissant à l’étranger, le personnel réduit au silence par la peur, et la nation aspirant au progrès, la justice exige plus que des limogeages. Elle nécessite la responsabilité, la réforme et un engagement renouvelé envers les principes qui définissaient autrefois l’ONABE. Alors que la Guinée s’oriente dans une phase cruciale de refondation, la restauration du SNABE pourrait servir de test décisif pour la détermination du gouvernement à privilégier l’éducation, la transparence et le bien-être de ses citoyens.
Cette histoire tragique du SNABE ne concerne pas seulement les échecs d’un homme ; elle concerne un système qui a permis à ces échecs de prospérer. En affrontant la vérité et en traçant une voie à suivre, la Guinée peut reconquérir la vision d’autonomisation de sa jeunesse à travers l’éducation. Dans cette ère d'hypermondialisation, en prise avec des disruptions techno-politiques sans fin, investir dans l’excellence et la compétitivité de la jeunesse est une question de souveraineté et de fierté nationales. Ne pas lutter pour offrir à la future génération de guinéens des opportunités académiques et professionnelles leur permettant de rivaliser avec leurs pairs d’autres nations, c’est assurer à notre pays un rôle de simple spectateur ou de cerf dans le nouveau paysage technologique et politique mondial qui se profile à l’horizon.
Ousmane Camara est directeur de la communication et des relations extérieures du groupe Happy Média ...
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