Le Conseil National de la Transition a adopté le vendredi 12 janvier 2024, la “loi portant réglementation de la publicité en République de Guinée”. Cette loi est le fruit d’une proposition (projet de loi) du ministère de l’Information et de la Communication. L’adoption de cette réglementation par le CNT est un tournant, parce qu’elle marque la rupture avec des années d’anarchie et de conflits de compétence dans le domaine de la publicité.
Souvent considérée comme un important levier économique, la publicité peine à trouver son essor dans notre pays depuis un demi-siècle. Pourtant, elle peut jouer un rôle dans le développement économique si elle est rigoureusement encadrée. Cet environnement à la fois complexe et anarchique est placé sous la tutelle de l’Office Guinéen de Publicité, qui est paradoxalement présenté comme l’organe chargé de la régulation publicitaire en Guinée. Cependant, ses missions voire son efficacité appellent à plusieurs interrogations tant le flou est persistant. Car il est, par ses statuts, à la fois régulateur et prestataire. Autrement dit, il est en même temps juge et partie. Encore plus préoccupant, l’office guinéen de publicité est une société anonyme. Ce qui, du point de vue légal, est une vraie anomalie.
Les recettes générées par la publicité dans les pays voisins contribuent significativement au budget de l’Etat. C’est le cas notamment de la Côte d’Ivoire. Sous la direction du Conseil Supérieur de la Publicité, l’Etat ivoirien a fait une prévision pour l’année 2022 basée uniquement sur la taxe (communication audiovisuelle) estimée à 3,9 milliards de francs CFA, soit 55,9 milliards GNF. Cette information est confirmée par l’annexe fiscale de la loi de finances n° 2021-899 du 21 décembre 2021 portant budget de l’Etat pour l’année 2022.
Au Sénégal, d’après l’Agence Ecofin, les dépenses dans les grandes chaînes publicitaires sont chiffrées à 799 483 357 Franc CFA en 2020, sous la direction du Conseil National de l’Audiovisuel. Ce qui représente 11,4 milliards GNF.
Pour répondre aux standards internationaux, les régulateurs ivoiriens et sénégalais affichent leur volonté de la pratique de régulation à l’image de l’Advertising Standards Authority (ASA) au Royaume-Uni, la Federal Trade Commission (FTC) aux États-Unis et l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) en France qui sont des modèles de la régulation publicitaire dans le monde.
En adoptant la “loi portant réglementation de la publicité’’, la Guinée cherche à encadrer le pouvoir de persuasion de la publicité afin de : protéger les intérêts des consommateurs, maintenir une concurrence loyale entre les acteurs de la publicité et préserver les valeurs culturelles et éthiques de notre société. En ce sens, cette loi va contribuer à instaurer un environnement commercial sain, propice à la croissance économique et à l’épanouissement de l’industrie publicitaire guinéenne.
DE L’INFLUENCE DE LA PUBLICITÉ
Dans son livre Psychologie de la publicité et de la propagande, Roger Mucchielli cite le Président du syndicat des Relations Publiques aux Etats-Unis qui, lors d’une allocution à ses collègues, tenait l’argument selon lequel le véritable travail d’influence ou de persuasion requiert une certaine maîtrise de son sujet, au point de conditionner ses goûts et préférences. « Ce à quoi nous travaillons, c’est à fabriquer des esprits. » Cette déclaration nous fait comprendre que la publicité repose sur une compréhension profonde du comportement humain, mais aussi son pouvoir à influencer les choix, les décisions des consommateurs au travers des mécanismes psychologiques.
Pour le dire autrement, lorsqu’elle est extrêmement persuasive, la publicité peut aller au-delà de la simple information sur des produits ou des services. C’est également une mise en garde contre sa capacité à exercer un pouvoir de manipulation sur les esprits des consommateurs. Les conséquences directes de cette influence sont liées au fait que les consommateurs peuvent être amenés à prendre des décisions impulsives plutôt que sur la base d’une évaluation rationnelle des produits ou des services.
En régulant l’industrie publicitaire, l’État cherche donc à équilibrer la liberté d’expression commerciale par la protection des droits et du bien-être des citoyens, contribuant ainsi à une société où les consommateurs peuvent prendre des décisions éclairées et autonomes. Vu sous cet angle, l’État se veut un moyen pour garantir que la publicité serve l’intérêt public tout en respectant les droits individuels.
CE QU’IL FAUT COMPRENDRE DE CETTE LOI
Les aspects les plus importants à comprendre de cette loi sont entre autres la définition des acteurs de la publicité, la protection des consommateurs, la promotion de l’éthique et de la transparence ainsi que le régime des sanctions. En examinant ces sujets, nous découvrirons pourquoi la régulation publicitaire est nécessaire pour garantir une publicité éthique, équitable et responsable en Guinée.
- Les acteurs de la publicité
Dans l’écosystème de la publicité, interviennent différents acteurs qui interagissent. La régulation n’a pas seulement pour vocation de protéger les consommateurs contre les impacts de la publicité, mais surtout de structurer le secteur de manière à le rendre propice aux affaires, à l’emploi et à la croissance économique. Cela en définissant et en assurant un équilibre entre les parties prenantes de manière à ce qu’aucune ne puisse empiéter sur les domaines des autres. Les acteurs exercent sous réserve d’une licence annuelle délivrée par l’organe de régulation, exception faite aux annonceurs. Cette répartition des responsabilités et des compétences vise à garantir un fonctionnement harmonieux de l’industrie publicitaire. Dans l’esprit de cette loi, les acteurs majeurs sont entre autres :
- les annonceurs : À l’origine des campagnes publicitaires, de promotion de produits, de services, d’idées par des moyens publicitaires (panneaux, tv, radio, magazine, en Internet, etc.), les annonceurs sont considérés comme des personnes morales ou physiques. Pour faire de la publicité, ils doivent passer par une agence conseil ou de publicité comme intermédiaire.
- les agences conseils : Elles sont uniquement des personnes morales. Sur la base d’un contrat, elles sont chargées de la conception, la planification, la réalisation et la gestion des campagnes publicitaires de leurs clients que sont les annonceurs. En leur sein, on peut trouver un ensemble de professionnels tels que des créatifs, des médias planeurs, des copywriters, des designers, etc.
- les régies : Ce sont des entités qui disposent uniquement des espaces qu’elles commercialisent pour des fins publicitaires. Elles doivent être clairement distinctes des agences conseil. Ce sont des propriétaires de panneaux (pour affichage), des promoteurs événementiels (pour l’affichage) s’ils sont déclarés comme tels, des magazines et journaux (pour des encarts presse), des sites web (pour des bannières), etc. Dans le cas des radios et TV (pour spots audiovisuels), elles doivent avoir en leur sein un service régie qui s’occupe de la commercialisation des espaces publicitaires.
- les courtiers : Ce sont des apporteurs d’affaires, des intermédiaires entre un annonceur et une agence conseil ou une régie et une agence conseil. Ils se rémunèrent à travers des commissions dont le pourcentage est défini entre eux et leurs partenaires. Ce sont des personnes morales ou physiques reconnues comme telles par le régulateur.
- l’organe de régulation : C’est une institution publique qui veille aux bonnes pratiques dans le secteur de la publicité et au respect des normes mais également de la loi en vigueur. Il est investi d’une autorité de taxer, autoriser, sanctionner et interdire toute activité à caractère publicitaire. Il collabore étroitement avec l’ensemble des parties prenantes, reçoit les plaintes et gère les litiges. A préciser que tout citoyen ou consommateur a la possibilité de saisir cette autorité pour la correction ou le retrait de toute publicité qu’il jugerait contraire aux dispositions légales.
Par ailleurs, dans cette loi, l’accent n’est pas mis sur le rôle des collectivités locales en tant qu’acteur majeur et incontournable dans la régulation publicitaire, comme il se passe en Côte d’Ivoire par exemple. Le rôle des collectivités locales engloberait l’élaboration et l’application de règlements locaux. Il consisterait ainsi à définir l’emplacement autorisé à des fins publicitaires.
Les collectivités tiennent compte de la sécurité routière, de la visibilité des panneaux de signalisation et de la préservation de l’environnement, des tailles et types d’affichage autorisés. Elles autorisent l’installation des dispositifs publicitaires. En somme, tenant compte des circonstances particulières de leurs localités, les collectivités doivent collaborer avec le régulateur à l’effet de garantir ou renforcer cette particularité.
- Protection des consommateurs
Cette protection peut tenir compte d’une double exigence. D’abord, les pratiques publicitaires trompeuses. Ensuite, les restrictions sur les publicités qui pourraient être perçues comme offensantes ou préjudiciables aux bonnes mœurs.
La première concerne la diffusion d’informations fausses, inexactes ou potentiellement trompeuses dans les publicités. Par exemple, si une publicité prétend qu’un produit a des propriétés miraculeuses pour la santé sans preuves scientifiques pour le soutenir, cela peut inciter les consommateurs à l’acheter en espérant des résultats impossibles. La régulation vise donc à ce niveau, à garantir que les publicités soient véridiques et que les affirmations faites soient étayées par des preuves crédibles.
Deuxième exigence. Outre la protection contre la tromperie, la régulation publicitaire impose également des restrictions sur les publicités qui pourraient être perçues comme offensantes, préjudiciables ou inappropriées pour certaines audiences. Cette protection vise à prévenir les atteintes à la dignité humaine, à la sécurité publique et à la moralité.
- Éthique et transparence
C’est le pilier fondamental de la régulation publicitaire. Une régulation efficace garantit que la publicité respecte des normes éthiques et morales. Elle exige que les publicités soient transparentes quant à leurs intentions et leurs effets.
Exemples de cas : une campagne publicitaire pour un fabricant de jouets destinés aux enfants et une autre sur un produit alimentaire.
Dans le premier cas, imaginons que cette publicité mette en scène des enfants jouant avec les jouets de manière extrêmement enthousiaste, suggérant que ces jouets sont essentiels au bonheur de l’enfant et qu’ils favorisent le développement intellectuel. Dans le second cas, imaginons une publicité qui prétend que le produit est 100% naturel et sans additifs chimiques.
Cependant, après une enquête réglementaire, dans le premier cas, il est découvert que les jouets en question sont fabriqués avec des matériaux de mauvaise qualité. Qu’ils présentent des risques pour la sécurité des enfants en raison de petites pièces détachables, et qu’il n’y a aucune base scientifique pour valider son supposé impact positif sur le développement intellectuel des enfants. Cette publicité serait contraire à l’éthique car elle exploite les émotions des parents et des enfants pour vendre des produits qui ne sont ni sûrs ni conformes à leurs affirmations.
Dans le second cas, s’il s’avère que le produit contient en réalité certains additifs chimiques ou des conservateurs, la publicité doit être modifiée pour refléter ces faits. La réglementation exige que cette publicité soit transparente quant à ses affirmations. Dans ce cas, la transparence signifie que la publicité doit fournir des informations complètes sur les ingrédients du produit.
Cette loi sur la publicité qui définit les différents contours de la régulation, énumère un certain nombre d’infractions passibles de sanctions. Il s’agit là d’un régime de sanctions qui doit être connu de tous les acteurs, et dont le texte entier devrait – digitalisation oblige ! – bientôt être accessible en ligne.
LA NÉCESSITÉ DE CRÉATION D’UNE AUTORITÉ DE RÉGULATION PUBLICITAIRE
La nécessité de la création d’une autorité de régulation publicitaire est de plus en plus évidente à la lumière des défis et des préoccupations soulevés. La transition en cours doit se montrer comme une opportunité pour réfléchir et trouver une solution aux problèmes de cette nature.
Pour la création d’une nouvelle autorité digne de ce nom, trois approches peuvent être envisagées.
- Ôter à l’OGP le statut de régulateur : Cette première approche impliquerait de dissocier les fonctions de régulation et de prestation de services publicitaires de l’OGP. Concrètement, l’OGP continuerait à fournir des services publicitaires en tant qu’entreprise étatique, tout en étant soumis aux normes publicitaires définies par une nouvelle autorité de régulation indépendante qui sera créée à cet effet. Cette approche présente l’avantage de clarifier les rôles et les responsabilités de l’OGP et de l’autorité de régulation, évitant ainsi tout conflit d’intérêt potentiel. L’autorité de régulation pourrait établir des normes transparentes et équitables pour l’ensemble du secteur publicitaire, garantissant ainsi une régulation impartiale.
- Ériger directement l’OGP en une autorité de régulation : Cette approche consisterait à transformer l’OGP en une autorité de régulation publicitaire à part entière. Dans ce scénario, il cesserait ses activités de prestation de services publicitaires, qui reviendraient d’office aux autres acteurs. Il deviendrait ainsi l’organe principal chargé de définir et d’appliquer les normes publicitaires, ainsi que de surveiller la conformité de tous les acteurs. D’autant plus que récemment, une loi sur les Autorités Administratives Indépendantes ( AAI ) a été adoptée au CNT.
- La suppression de l’OGP en faveur de la création de l’ARCP : Cette approche voudrait la création d’un organe de régulation qui pourrait s’appeler l’“Autorité de Régulation de la Communication Publicitaire’’ (ARCP) et qui aurait à sa tête un Conseil de régulation.
Avec cette approche, on remarque la dissociation complète des fonctions de régulation et de prestation de services publicitaires. Or, l’un des principes fondamentaux du droit est que nul ne peut être juge et partie à la fois.
Une fois les prérogatives de l’OGP seraient supprimées dans le domaine de la publicité, l’ARCP prendrait le relais en tant qu’organe central de régulation. Une telle évolution offre l’avantage d’avoir une autorité spécialisée, focalisée exclusivement sur la régulation publicitaire, avec une structure et des compétences adaptées à cette mission. Elle contribuerait notamment à renforcer la confiance du public et des acteurs dans le secteur publicitaire en garantissant une surveillance indépendante et objective.
Il est donc grand temps de réfléchir sérieusement à la restructuration de l’Office Guinée de Publicité (OGP). Parce que nous avons l’intime conviction que la Guinée a le potentiel de devenir un exemple en matière de régulation publicitaire en Afrique, nous estimons qu’il est temps de saisir cette opportunité pour façonner un secteur publicitaire éthique et prospère. Pour ce faire, nous appelons à une action décisive de la part des décideurs publics, en particulier du gouvernement par le biais du ministère de l’Information et de la Communication, ainsi que du Conseil National de la Transition en tant qu’organe législatif de la transition. Il faut que l’État guinéen se soumette aux règles de la concurrence au même titre que les prestataires privés, surtout dans un secteur démonopolisé.