Le monde entier est en train de payer cher l’insistance de l’OTAN à faire de la guerre en Ukraine une occasion de punir une fois pour toutes la Russie de Poutine pourtant dotée de l’arme nucléaire. Des factures d’énergie astronomiques à l’augmentation des prix des denrées alimentaires en passant par la pénurie d’engrais, les citoyens du monde entier se voient invités à sacrifier leurs revenus afin de punir le président russe Vladimir Poutine pour son invasion manifestement illégale de l’Ukraine.

Alors que peu de pays dans le monde s’accordent à dire que l’offensive militaire russe en Ukraine est justifiée, la réponse de l’Europe et des États-Unis a plongé le monde dans une crise économique qui pourrait renverser des gouvernements, entraîner une famine généralisée et des difficultés économiques pour les citoyens ordinaires, d’Anvers à Zanzibar.

Les gouvernements non-membres de l’OTAN n’ont eu que peu d’influence sur cette crise mondiale croissante. Tout pays qui ne suit pas le régime de sanctions occidentales est étiqueté comme faisant partie d’une « alliance de pays autoritaires », et leur réticence à soutenir l’OTAN est présentée comme un soutien inconditionnel à l’invasion de la Russie.

Sacrifier la stabilité mondiale

Entre-temps, les pays de l’OTAN semblent avoir diminué l’importance des Nations Unies en faveur d’un nouvel ordre mondial dirigé par l’Occident. Lors de son sommet de juillet 2022, l’OTAN a clairement laissé entendre que le sort du monde serait désormais déterminé par  « l’ordre international fondé sur des règles » dirigé par les États-Unis. Le sommet, axé sur l’Ukraine, n’a pas mentionné une seule fois l’ONU ou ses mécanismes de résolution des conflits comme moyen d’établir la paix.

C’est donc à juste titre que l’analyste politique Clinton Fernandes a souligné que cet « ordre fondé sur des règles » trouve ses racines dans l’impérialisme britannique. C’est aussi ce qu’a souligné le célèbre linguiste Noam Chomsky dans son analyse dudit sommet de l’OTAN.

De fait, Fernandes explique le fonctionnement de cet ordre comme suit : « Les États-Unis sont au sommet du système et exercent un contrôle sur la souveraineté de nombreux pays. Le Royaume-Uni, lieutenant doté d’armes nucléaires et de territoires éloignés, soutient les États-Unis. Il en va de même pour les puissances sous-impériales comme l’Australie et Israël. »

L’échec de la thèse du commerce mondial comme pacificateur

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays occidentaux ont défendu l’idée que le renforcement de l’interconnectivité du commerce mondial apporterait enfin la paix dans le monde. La notion que le commerce apporte la paix était au cœur des principes fondateurs de l’UE et a continué d’être défendue par les dirigeants occidentaux jusqu’en février de cette année.

Cependant, lorsque les troupes russes ont envahi l’Ukraine, l’interdépendance commerciale internationale est soudain devenue une menace. Les entreprises occidentales ont été blâmées pour ne pas s’être retirées assez rapidement du marché russe, ce qui a contraint des centaines d’entre elles à mettre fin à des décennies d’activités commerciales en Russie.

Au lieu de tirer parti de leurs liens commerciaux étroits avec la Russie pour imposer rapidement des négociations de paix, les nations occidentales ont soudain choisi de privilégier le protectionnisme, les sanctions politiques et la thésaurisation des ressources nationales au détriment des chaînes d’approvisionnement mondiales.

La perturbation des chaînes d’approvisionnement due à la guerre a entraîné une baisse du niveau de vie dans la plupart des pays du monde. Avec la forte hausse du prix du pain, la stratégie de l’Occident entraîne une instabilité mondiale et des troubles intérieurs dans des pays déjà au bord de la crise.

Le Sri Lanka a été le premier pays où les chocs provoqués par la guerre en Ukraine ont transformé une situation déjà mauvaise en une catastrophe nationale, le gouvernement ayant dû fuir le pays en raison de l’agitation de la population. Plusieurs autres pays, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, risquent de connaître des troubles internes et des divisions politiques similaires.

Face aux répercussions profondes et imprévisibles de la crise ukrainienne, les pays du monde entier ont mis en place des restrictions à l’exportation de produits alimentaires clés afin de préserver l’approvisionnement national. Comme toujours, les résultats se feront surtout sentir dans les pays qui n’ont pas les moyens de financer des subventions pour faire baisser les prix des denrées alimentaires sur le marché intérieur, ou qui sont même confrontés à une famine potentielle.

Une nouvelle ère pour le militarisme mondial

Alors que les citoyens du monde entier souffrent des conséquences du conflit ukrainien, les États-Unis et leurs puissants fabricants d’armes sont de nouveau au sommet de la puissance mondiale. Les pays européens, qui ont longtemps évité de consacrer les 2 % de leurs PIB à la défense, s’empressent aujourd’hui d’augmenter leurs dépenses militaires comme si leur existence même en dépendait.

La Finlande vient de devenir membre de l’OTAN tandis que la Suède est sur le point d’adhérer à ce club de défense piloté par Washington. Ce qui représente un véritable boom pour les fabricants d’armes, car ces pays autrefois neutres devront désormais dépenser des sommes considérables pour se doter d’équipements militaires que requiert l’appartenance à l’OTAN. L’Allemagne se réarme, sous les acclamations des nations européennes et nord-américaines qui ont combattu ce pays à deux reprises au siècle dernier.

De même, le Japon abandonne les restrictions militaires qu’il s’était imposées après la Seconde Guerre mondiale et choisit d’investir massivement dans des armes offensives pour être un front déterminant dans la bataille contre l’autre cible dans le viseur de l’OTAN : la Chine.

Plutôt qu’une issue négociée au conflit ukrainien, l’OTAN semble mue par le seul désir de punir la Russie. Pourtant, cette insistance à vouloir réduire Poutine et son empire à la génuflexion sacrifie non seulement la vie des Ukrainiens, mais elle menace également la paix mondiale.

Alors que l’OTAN concentre tous ses efforts sur la mise en œuvre de « l’ordre fondé sur des règles » dirigé par les États-Unis au lieu d’un ordre international véritablement multilatéral et dirigé par les Nations unies, nous assistons à un retour d’une realpolitik mondiale fondée sur le principe selon lequel la force fait le droit. Le message implicite à tous les pays qui ne veulent pas être des vassaux dans cet ordre dominé par la force, qui ne veulent pas être des suivistes dans l’ordre global qui s’annonce, est ceci : Il faut renforcer sa puissance militaire.

Abandonner les priorités climatiques

Pendant ce temps, la lutte mondiale contre le changement climatique, déjà exsangue, est sacrifiée sur l’autel de la chasse – quoique imaginaire – à Poutine. Dans ce sillage, les priorités climatiques ont été bonnement reléguées au second plan face à la menace que constituerait la Russie pour la survie même de l’occident et de sa démocratie libérale.

Cette perception de menace russe est elle-même imprégnée d’une propagande qui domine la quasi-totalité des médias européens. Tout en insistant sur le fait que la Russie est une menace existentielle pour l’Europe et ses valeurs, les médias européens nous apprennent chaque jour que l’Ukraine tient vaillamment tête à la machine de guerre russe.  

Renonçant à faire du journalisme, c’est-à-dire à reporter à temps réel et sans agenda sur les tenants et les aboutissants de la guerre en Ukraine, les médias occidentaux semblent s’être érigés en relayeurs d’un message qu’ils disent essentiel, consubstantiel à la survie de l’Occident. Que dit donc ce message contradictoire par moments ? Ceci : il faut aider l’Ukraine, dont la brave armée serait le bouclier et le rempart de l’occident face au « projet impérial russe », dont l’objectif serait de s’attaquer à d’autres pays européens si Kiev arrivait à tomber.

Ainsi, en prétendant que la Russie est la menace la plus importante et la plus frontale que l’Europe ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’OTAN ignore ou banalise la menace bien réelle du changement climatique.

Le gaz naturel russe, longtemps présenté comme un « carburant de transition » sur la voie d’un système énergétique durable, n’est soudain plus politiquement acceptable. L’insistance de l’OTAN à punir Poutine risque ainsi de faire reculer l’atteinte des objectifs climatiques qui pourraient ne jamais devenir une réalité, car un ordre mondial de plus en plus militarisé présentera toujours un ennemi perçu comme tel pour justifier les dépenses de défense.

La paix en Ukraine n’est pas la priorité de l’OTAN 

Le camp occidental semble insister sur le fait que la préservation de la paix en Ukraine à court terme n’est pas nécessairement la véritable priorité. De fait, l’objectif final de l’OTAN semble plutôt être de punir la Russie. Le fait que cette stratégie soit susceptible de déclencher de nouvelles guerres (bien sûr dans des pays non occidentaux) dans le monde entier semble être un sacrifice acceptable pour l’élite médiatique, financière et politique de l’Occident. Que cette stratégie risque de faire perdre aux générations futures un temps précieux pour atténuer le changement climatique et s’y adapter semble est également à leurs yeux une perte acceptable.

Alors que la guerre en Ukraine a opposé l’Occident et une grande partie du reste du monde dans un nouveau face-à-face qui rappelle la guerre froide, ce sont les pays coincés entre les deux blocs émergents qui sont à la fois impuissants et susceptibles d’en ressentir les pires conséquences. Entre-temps, les moyens d’instaurer une paix durable en Ukraine existent. Malgré ses nombreux défauts, l’ONU dispose d’une série de mécanismes de rétablissement de la paix qui ont fait leurs preuves.

Les Nations Unies ont déjà appliqué avec succès leurs stratégies de « désarmement, démobilisation et réintégration » pour désarmer les populations et mettre fin à la violence localisée. L’ONU dispose de commissions de vérité et de réconciliation qui visent à guérir les sociétés fracturées après une guerre. Plus important encore, les Nations Unies disposent de processus de médiation et de paix pour régler les différends internationaux et résoudre les conflits.

Pourtant, alors que l’OTAN continue de privilégier son propre « ordre fondé sur des règles » au détriment des mécanismes de désescalade de l’ONU, l’ordre international de l’après-Seconde Guerre est de plus en plus menacé, comme jamais auparavant. Les pays non-alignés semblent disposer de peu de temps pour insister sur le même processus de paix dirigé par l’ONU qui a mis fin aux guerres en dehors de l’Europe au cours des dernières décennies.

Au lieu d’une « alliance d’autoritaires », les pays actuellement neutres, non-alignés dans le conflit ukrainien pourraient être les seuls à avoir la lucidité et la capacité requises pour sauver des vies ukrainiennes, ramener l’attention mondiale sur le changement climatique et arrêter une nouvelle ère d’escalade du militarisme mondial.

La Russie et l’Ukraine n’ont pas d’espace propice pour parler de paix, car une telle rhétorique serait immédiatement perçue par l’autre partie comme un signe de faiblesse. L’OTAN semble prête à laisser perdurer le conflit tant qu’elle n’atteint pas son objectif d’affaiblissement ou d’endiguement de la Russie. Seuls les pays neutres, non-occidentaux semblent avoir la volonté et le pouvoir d’insister sur un véritable processus de paix dirigé par les Nations unies.

De tels appels de la part de ces pays non-alignés pourraient avoir un impact considérable sur l’esprit du temps en Europe et aux États-Unis, où le message anti-guerre semble avoir été détourné et transformé en un appel solitaire à inonder l’Ukraine d’armes occidentales.

L’existence d’une option diplomatique pacifique ne peut que contribuer à mettre en évidence la belligérance de la stratégie actuelle de l’OTAN et à braquer les projecteurs sur le sort des Ukrainiens et des citoyens du monde entier, qui sont actuellement confrontés à un avenir incertain et marqué par une interminable série de crises.

Le choix binaire qui domine actuellement dans les médias occidentaux – soit on approuve l’invasion russe, soit on est en faveur de l’envoi massif d’armes – présente la rhétorique « avec nous ou contre nous » menée par les États-Unis comme la seule perspective possible sur l’Ukraine. Après plus d’un an de combats sanglants en Ukraine, il devrait y avoir une autre option, qui favorise la désescalade, la négociation et la paix à court terme.