Pour la première fois en Guinée depuis l’avènement du multipartisme intégral post-colonial, un rapport scrupuleux évalue l’état de nos partis politiques. Je parle là, on le sait, de cette initiative du Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MATD) qui aura fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers jours. Sans verser dans les débats personnalisés et attaques ad hominem auxquels nous ont habitués la grande majorité de ceux qui alimentent le débat public guinéen, je crois sincèrement que ce projet du MATD marque un tournant et révèle des vérités que nombre de Guinéens soupçonnaient depuis longtemps.
Cette évaluation s’est en effet déroulée en deux phases. La première mission, qui a permis de visiter 73 partis, a surtout révélé que 59 des partis politiques disposaient d’adresses incorrectes ; que 103 étaient inaccessibles, dont 68 seulement ont pu fournir des dossiers. Finalement, 35 partis ont été dissous pour non-respect de leurs obligations légales. La mission d’évaluation en elle-même s’est étalée du 17 juin au 30 septembre 2024, mobilisant 32 enquêteurs du MATD appuyés par un cabinet spécialisé. Ils ont parcouru l’ensemble du territoire, visitant les sièges et antennes locales des formations politiques.
Une classe politique à la dérive
Bien que ce rapport n’offre pour l’heure qu’un aperçu préliminaire, il confirme malheureusement une réalité évidente : notre classe politique est à la dérive et est tragiquement incapable de proposer une alternative crédible au statu quo. Ce constat, que beaucoup se refusent à admettre, est désormais documenté avec rigueur. Une fois de plus, cette évaluation démontre que nos leaders politiques, souvent peu enclins à respecter les règles démocratiques, continuent de promettre un État de droit qu’ils peinent eux-mêmes à incarner.
Certes, les commanditaires de ce rapport peuvent être critiqués pour leurs intentions sous-jacentes ; néanmoins, la publication de ces données vient rappeler de manière urgente l’importance de la mise en conformité légale avant toute revendication d’élections. Car, selon les lois de la République, les partis politiques ont des obligations claires qu’ils doivent honorer. Peut-on dès lors s’étonner que nos formations politiques, au lieu de former une élite éclairée, soient en grande partie accaparées par des groupes sans projet de société, souvent incapables de transcender les logiques personnelles et claniques ?
Même les partis les plus établis, tels que l’UFDG, le RPG, l’UFR, le PEDN, le PADES et le BL, n’ont pas été épargnés par ce bilan. Placés sous observation pour une période de trois mois, ils sont désormais sommés de corriger les manquements graves relevés dans leur gestion interne, faute de quoi le MATD envisage des sanctions pouvant aller jusqu’à leur suspension.
Encore une fois, ce qu’il faut retenir de cette évaluation est que, par-delà leurs postures de démocrates engagés à sauver la Guinée, nos leaders politiques et les formations qui constituent leur principal fond de commerce dans une Guinée qui se cherche une véritable voie de sortie du marasme politico-économique, sont sans aucune ambiguïté partie intégrante du problème qui gangrène la Guinée. À vrai dire, de nombreuses formations politiques devraient purement et simplement fermer boutique tant elles se montrent incapables de respecter la Charte des partis politiques. Ce rapport nous rappelle donc l’état accablant de nos structures politiques et invite, en dernière analyse, à une remise en question fondamentale de leurs priorités.
Un certain débat est possible – et indispensable
Je sais que ce constat qui est le mien n’est certainement pas partagé par une certaine frange de Guinéens soucieux, comme moi, du devenir de cette nation martyrisée et désoeuvrée que nous avons en commun. Je sais aussi que ceux qui ne sont pas de mon avis ne sont pas tous aveuglés par leurs positionnements claniques, régionalistes et donc dangereux pour notre devenir collectif.
D’où mon ouverture au débat – nécessaire – sur le timing, les motivations ou les implications de cette initiative en pleine transition. Pour ma part, même si débat il y a, même s’il est légitime de questionner la sincérité d’une telle évaluation alors même que les Guinéens sont confus quant à la durée et aux vrais enjeux de cette transition en cours, il convient avant tout de reconnaître la nécessité et la qualité du travail effectué.
La conclusion à en tirer est pour moi évidente : tous les partis visés doivent revoir leurs priorités et se concentrer d’abord sur la mise en ordre de leur fonctionnement interne, car ce n’est certainement pas en l’état actuel qu’ils pourront prétendre assurer un véritable renouveau démocratique en Guinée.