Le coup d’État est déjà acté au Sénégal. Désormais, Macky Sall bénéficie des soutiens de la presse de tous les réseaux de la Françafrique. Zéro condamnation pointée ni de la CEDEAO (qui n’a pas jugé utile d’activer sa force en attente contre le coup d’Etat de Macky), ni de l’Union Africaine, encore moins de l’Union européenne. 

La préservation des intérêts français, notamment de la base militaire française au Sénégal, de ses multinationales et le prolongement du CFA ont donné à la CEDEAO et ses maîtres, l’argument selon lequel un Macky Sall illégitime leur serait plus utile qu’un président sénégalais authentiquement panafricain et prêt à se battre pour la véritable souveraineté de son pays. 

Si donc Macky Sall persiste, il faut y voir un désir soit de rester, soit d’imposer un successeur dont une grande partie des prérogatives sera de le maintenir au pouvoir, même sans être le locataire officiel du Palais de la République. Après tout, si Alassane Ouattara est adoubé et se prépare très probablement pour un quatrième mandat sans coup férir, pourquoi pas Macky ? 

Comme Ouattara, Macky s’est fait remarquer par des déclarations bellicistes et contreproductives lors des crises internes de la CEDEAO (notamment sur la question du Niger), sans oublier sa prise en otage de la scène politique et de l’avenir de la frange majoritaire de la population de son pays, ou son mépris des députés de l’opposition expulsés manu militari de l’hémicycle. 

Même l’Église et la ligue des imams ont pris position pour le respect du délai constitutionnel des élections, et par extension contre toute velléité de Macky Sall à vouloir se maintenir au pouvoir au-delà de ses deux mandats déjà effectués. 

En ce sens, la déclaration conjointe du 11 février par les  anciens chefs d’État sénégalais Abdou Diouf et Abdoulaye Wade est venue entériner de manière spectaculaire la confiscation du pouvoir par Macky Sall. En donnant du crédit aux promesses de Macky Sall et en appelant par la même occasion la société sénégalaise à rentrer dans les rangs, nos doyens de la vieille garde ont affiché leur attachement indéfectible au statu quo sénégalais. Au fond, derrière ce soutien incestueux à Macky se cachait un point d’accord assez étrange, voire troublant entre l’actuel locataire du Palais de la République et ses prédécesseurs. 

Ainsi, pour tous ceux qui ont longtemps chanté les louanges d’une certaine exception démocratique sénégalaise, quoi de plus glaçant que la réalisation que, par-delà les slogans savamment dispatchés par une certaine presse et une certaine intelligentsia à la solde de la Françafrique, l’exception sénégalaise est un leurre ? De Senghor à Macky Sall, le statu quo sénégalais a toujours su tuer toutes les revendications qui tendent à renverser l’ordre politique issu du système colonial et néocolonial. 

Pendant que j’écris ces mots, la CEDEAO qui était en coma sceptique, vient hélas de mourir définitivement. Car, en laissant Macky Sall prendre le Sénégal en otage, la CEDEAO montre aux yeux du monde soit son impuissance, soit son parti pris en faveur d’un bon élève du néolibéralisme néocolonial qui continue de spolier l’Afrique. 

Quoi qu’il en soit, la position d’ambiguïté ou d’impuissance qu’affiche la CEDEAO  met davantage en danger le renouvellement démocratique dans tous ces pays de la sous-région où le dénouement des transitions politiques peine entre confusions et suspicions. 

Et comme une surprise qui n’en est pas une, même le Conseil constitutionnel sénégalais n’a pas fait mieux dans son arrêt qui annule le décret abrogeant le décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle qui était prévue pour le 25 février 2024. 

En effet, sans vraiment imposer un calendrier électoral contraignant à Macky Sall, le Conseil constitutionnel s’est royalement contenté de constater «l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue», tout en invitant «les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais». 

Il va sans dire que l’arrêt du Conseil constitutionnel aura les mêmes effets que ceux recherchés par Macky Sall et sa bande, d’autant plus que celui-ci ne donne pas les raisons de cette impossibilité supposée ou avérée. De toutes les façons, et ce depuis trop longtemps, le Conseil constitutionnel vient cette fois confirmer de manière légale ce qui était déjà en cours, c’est-à-dire la prolongation du mandat présidentiel de Macky Sall avec tous les risques que cela comporte, notamment la confiscation du pouvoir d’Etat. 

Le Conseil constitutionnel se fourvoie ainsi en indiquant l’impossibilité de la tenue des élections à la date constitutionnelle après avoir annulé le décret qui indiquait en quelque sorte la même chose. La conséquence de tout cela, c’est que les élections n’auront pas lieu ce 25 février et la crise institutionnelle en cours risque de paralyser davantage le pays. Car, si elle règle la demande des requérants, la décision du Conseil constitutionnel ne règle pas les questions politiques en suspens.

Force est ainsi de reconnaître que même s’il faut continuer à craindre une candidature improbable ou la confiscation du pouvoir par Macky Sall, l’enjeu véritable de cette élection est surtout la candidature d’Ousmane Sonko. Tant que perdure donc cette forfaiture pour laquelle le Conseil constitutionnel sénégalais n’est pas si innocent, il est tout naturel pour nous autres d’être davantage vigilants et moins optimistes sur la solution politique que la suite des événements pourrait donner. 

Il ne serait donc pas surprenant si, malgré les incessantes mises en garde, Macky Sall s’entêtait à outrepasser la décision du Conseil constitutionnel. L’expérience ivoirienne avec Alassane Ouattara – qui s’apprête pour un énième mandat – devrait amener les sénégalais à ne pas faiblir les mobilisations et la veille citoyenne jusqu’à l’aboutissement de ce périple qui leur est imposé par la seule volonté de Macky Sall et de ses maîtres. 

Quand on a fini de fustiger cette décision aux allures d’entourloupe du Conseil constitutionnel sénégalais, il faut tout de même – pour le guinéen que je suis – reconnaître que l’instance juridique suprême du Sénégal a eu le mérite d’être à moitié courageuse là où notre Cour constitutionnelle a été lâche en jouant à l’aplaventrisme. 

Ceci dit, outre quelques différences de degrés, la réalité reste la même de Conakry à Dakar. La cupidité (ou médiocrité) de nos leaders politiques et la lâcheté de ceux qui sont censés les freiner ou les ramener à la raison quand l’avenir de nos nations est en jeu — voilà la source principale du soi-disant drame de l’Afrique dans notre ère. 

Et ce ne sont pas des révolutions bancales et mal articulées, portées par des leaders charismatiques à la parole mielleuse et aux promesses pompeuses qui mettront un terme à cette longue et immense tragédie africaine qui perdure encore au 21ème siècle.