Ousmane Sonko, je l’ai dit il y a longtemps, a fait preuve de grandeur en portant et en accompagnant la candidature de Diomaye Faye à la présidence du Sénégal. La victoire de son candidat et ami (et surtout numéro 2) étant désormais actée, la question de la gouvernance entre les deux hommes devient cruciale. 

Au vu de la remarquable campagne qu’ils ont menée après leur sortie de prison, marquée surtout par l’extrême complicité et le respect mutuel dont ils font montre l’un envers l’autre depuis les débuts du Pastef, la tentation est grande de minimiser les risques inhérents à un tel couple politique. Pour autant, il est essentiel de sérieusement aborder cette question. 

Le Pastef est avant tout le parti de Sonko. Diomaye Faye n’aura été que le candidat par défaut, propulsé sur le devant de la scène par la volonté de son mentor de ne pas jouer le jeu de Macky Sall. La question du “partage du pouvoir” ou de la “cohabitation” devient donc inévitable aux lendemains de l’écrasante victoire de ce parti créé en 2014 pour incarner la rupture avec la vieille garde politicienne, laquelle a depuis longtemps perdu tout crédit aux yeux de la jeunesse sénégalaise.

Face à cette situation inédite, qui de fait représente un défi majeur pour Sonko et son parti, la sagesse des deux hommes sera sans aucun doute mise à l’épreuve dans les prochains mois. D’autant plus qu’ils devront composer avec un contexte politique complexe et des adversaires déterminés à empêcher la réalisation effective de leur vision radicale de rupture et de nouveau départ.

A cet égard, le Parti socialiste français nous offre quelques exemples pertinents. Les crises des primaires entre Jospin et Fabius, puis entre DSK et Hollande, illustrent les dangers liés à la rivalité entre figures de proue d’un même parti.

Le cas de François Fillon au sein du parti Les Républicains est également instructif. Pressenti pour succéder à François Hollande à la tête de la France, il a vu sa candidature compromise par l’affaire des emplois fictifs de son épouse. La question de son remplacement par Alain Juppé comme candidat du parti s’est alors posée, soulignant les risques de divisions internes.

Plus près de nous, sur le continent africain, l’on se rappelle encore les conséquences tragiques de la rupture entre Joseph Kasa-Vubu et Patrice Lumumba au lendemain de l’indépendance du Congo belge, aujourd’hui République Démocratique du Congo.

Dès les premiers mois après l’indépendance, le désamour entre les deux hommes est palpable. Kasa-Vubu, perçu comme un modéré, se sent menacé par la popularité croissante de Lumumba, fervent partisan d’une rupture totale avec l’ordre colonial.

Leur rivalité s’intensifie de plus belle, chacun cherchant à évincer l’autre. Kasa-Vubu, craignant l’influence grandissante de Lumumba, le destitue de son poste de Premier ministre. Mais ce dernier refuse de se plier à cette décision, créant une impasse politique.

C’est dans ce contexte de tension que l’armée, sous la houlette du lieutenant-colonel Joseph-Désiré Mobutu, intervient. Un coup d’état sanglant met fin à la rivalité entre Kasa-Vubu et Lumumba, mais à un prix terrible. Lumumba est assassiné, laissant le Congo en proie à l’instabilité et à la violence. Et le reste appartient à l’histoire !

Qu’on s’entende bien : Je ne fais pas tout ce rappel historique pour créer un parallèle entre la RDC et le Sénégal. Ce que je dis, c’est qu’il est important que ceux qui entourent Sonko et Diomaye Faye travaillent sans relâche à éviter un divorce qui ne pourrait que bénéficier à la vieille garde politique qui, ayant été humiliée et balayée par l’écrasante et historique victoire du Pastef, travaillera d’arrache-pied dans les coulisses pour faire échouer la rupture radicale que les deux hommes du Pastef ont promise à la jeunesse sénégalaise. 

En ce sens, Sonko et Diomaye Faye doivent impérativement éviter les pièges de l’ambition personnelle et trouver un mode de fonctionnement harmonieux. L’équilibre entre le pouvoir présidentiel et l’influence de Sonko sera crucial pour garantir la stabilité du gouvernement et du Pastef. La cohésion au sein du Pastef et la capacité de Sonko à inspirer et à diriger sans faire de l’ombre à Diomaye Faye seront déterminantes pour l’avenir du pays. 

Encore plus important peut-être, la réussite de cette cohabitation qui s’annonce délicate est essentielle pour la matérialisation de la rupture radicale, souverainiste dont est porteur ce nouveau parti sénégalais dont la victoire a redonné de l’espoir à tous ceux qui désespéraient de la politique africaine. La résolution constructive de la question de l’épineuse gouvernance partagée entre Sonko et Diomaye sera donc un test crucial pour la maturité politique des deux hommes à se mettre au-dessus des divergences à venir pour mettre toujours en avant l’avenir du Sénégal dont ils ont désormais les rênes.