Les guinéens sont sur les nerfs depuis quelques mois ; il faudra donc prêter une oreille très attentive pendant la formation du nouveau gouvernement. Dans l’état actuel des choses, un gouvernement d’union nationale serait le plus souhaitable pour décrisper les tensions et amener les acteurs principaux à s’entendre sur la suite de la transition. Ceci dit, il convient de préciser qu’il sera difficile de constituer un nouveau gouvernement, pour fondamentalement deux raisons :

1. La façon dont l’ancien gouvernement a été débarqué et la manière par laquelle le pouvoir du CNRD est en train de traiter ses anciens collaborateurs donnent à réfléchir pour la plupart de ceux qui avaient envie de travailler avec lui. À cela, il faut ajouter le cas Charles Wright et Bernard Goumou, qui, selon beaucoup d’observateurs, aurait été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La dissension flagrante entre l’ancien Premier ministre et l’ancien garde des sceaux qui s’est portée à la place publique sans que le président de la transition n’eut à trancher – ne serait-ce que pour le respect de la hiérarchie – en dit long sur le climat  très tendu de la collaboration avec le pouvoir militaire de Conakry.

Le président de la transition, même si on suppose une relation particulière entre lui et Charles Wright, ne devrait pas permettre que ce dernier s’engageât dans un conflit ouvert avec son chef. Donner l’air de désavouer son premier ministre pour une brouille avec un de ses ministres – donc un de ses subordonnés – est un très mauvais précédent. Personne ne souhaiterait appartenir à un gouvernement où les subordonnés n’ont aucun respect pour leurs chefs.

2. Le gouvernement récemment dissous ne peut pas à lui tout seul endosser la responsabilité des échecs de la transition, ni la paternité de la crise qui risque de plonger le pays dans un autre chaos politique si les uns et les autres ne reviennent pas très tôt à la raison. La charte de la transition est claire : l’organe de décision reste le CNRD et le gouvernement ne peut que suivre les ordres de celui-ci. 

Cette lecture est hélas très préoccupante par le simple fait qu’elle trouve facilement sa raison à la fois dans les motifs discrets pour lesquels les deux premiers ministres – jusque-là – de cette transition ont été remerciés et par le nombre de changement de chefs de gouvernement (nous nous acheminons très probablement vers un troisième) en si peu de temps. Si les guinéens n’ont pas été informés des motifs exacts et précis de tout ce phénomène politique, il n’en demeure pas moins qu’il traduit un certain manque de clairvoyance politique du CNRD.

Après donc une dissolution aussi brutale de l’ancien gouvernement, la formation d’un gouvernement d’union nationale impose plus que jamais au CNRD d’afficher une volonté politique sans équivoque. Il doit accepter de donner la possibilité au nouveau gouvernement de travailler en toute liberté, sans pression ni blocage.

Mais si la tendance voudrait que nous allions vers un gouvernement d’union nationale, il serait tout naturel d’accepter que la composition du prochain gouvernement de transition prenne du temps. En ces temps de méfiance accrue entre les acteurs politiques, former un gouvernement à la hauteur des enjeux et capable de relever les défis de notre pénible marche collective vers la véritable refondation républicaine va nécessiter beaucoup de tractations. Il faudra surtout du temps pour concilier les positions (ou propositions) des parties concernées (partis politiques, société civile, CNRD) et voir plus clair dans l’arbitrage (supposé ou réel) du Chef de l’Etat qui en ce moment serait à la recherche d’un juste équilibre pour la suite de cette transition qui normalement tend vers sa fin. 

Pour mettre en place un gouvernement d’union nationale dans un contexte politique aussi nauséabond, où les guerres d’égo et les intérêts politiques intrinsèques sont également en jeu, il serait imprudent d’aller trop vite. Nous sommes au bord d’une implosion sociopolitique et les conséquences ne se feront pas attendre si jamais on se précipitait à former un gouvernement bancal. Parce que la prudence conseille d’aller lentement mais sûrement, la composition du nouveau gouvernement doit obéir à deux exigences :

1. La première est immédiate : comment les hommes et femmes qui formeront ce gouvernement à venir seront-ils reçus (ou perçus) par l’opinion publique ? Le moindre mauvais calcul pendant la formation de ce gouvernement sera donc un prétexte de plus pour les marchands du chaos. C’est pourquoi, je suis partisan d’une large concertation qui permettrait d’aboutir à un gouvernement qui susciterait à tout point de vue l’adhésion générale.

2. La deuxième exigence est celle qui consiste, dans un bref délai, à trouver une issue favorable à l’avis de grève générale émis par le mouvement syndical. Bien entendu, je n’occulte pas de ce fait le dialogue national dans une large mesure et le dialogue politique intrinsèque pour trouver un calendrier juste pour sortir enfin de cette transition. Après le passage du gouvernement Goumou qui a en grande partie répété les erreurs de notre passé politique trouble, le nouveau gouvernement doit s’atteler à la rupture que nous a promise le CNRD le 05 septembre 2021.

A moins d’un an de la fin de la transition, et conformément au délai consenti avec la CEDEAO, le CNRD doit définitivement faire la preuve à la fois de sa volonté politique, mais surtout de sa prise en compte des véritables enjeux. Le président de la transition a tout intérêt à ne pas accompagner ceux qui espèrent le braquage de la transition. Les courtisans de palais ne promettent qu’un panier de crabes et, comme tel, le premier qui le pourra mordra le président de la transition. Leurs langues se délieront à la minute qu’il se trouvera en position de faiblesse.

Il serait impertinent de conclure cette tribune sans offrir une tentative de répondre à la question principale sur les lèvres et cœurs de tous les guinéens concernés par la longue marche de notre pays vers de lendemains meilleurs : quel profil idéal pour le Premier ministre du nouveau gouvernement ? En guise de réponse, il me semble, comme l’ont d’ailleurs récemment remarqué certains compatriotes en réponse à une question postée sur Facebook par un internaute très futé, qu’il faudra dores et déjà évacuer toute illusion liée à l’avènement d’un homme providentiel pour répondre à toutes les attentes du peuple de Guinée. Comme beaucoup,  je reste convaincu que puisque la question du “Qui” ramène très souvent à la notion de l’homme providentiel, le véritable débat pour nous aujourd’hui est celui de déterminer – comme je l’ai suggéré tout au long de cette tribune  – les critères de choix, c’est-à-dire de trouver le “COMMENT”. 

Pour le dire autrement, le critère politique (le leadership, la fiabilité et l’intégrité de la personne dans ce tumultueux paysage politique guinéen) devrait être la boussole du CNRD quand viendra l’heure de choisir le prochain chef du gouvernement. Concrètement, ceci revient à dire que le chef du prochain gouvernement de transition devra être un homme (ou une femme) respecté par l’ensemble des acteurs concernés et ayant le charisme, l’expérience et le leadership requis pour conduire ce dialogue politique dont notre pays a urgemment besoin pour sortir de ces crises multiformes qui n’ont que trop duré.