Deux ans après le coup d’Etat du 05 septembre, un article dans ces colonnes mettait en garde contre les risques d’échec du pouvoir refondateur, soulevant avec gravité les dangers manifestes que courait une transition dont personne ne semblait savoir ce qu’elle voulait désormais. 

Il y avait là un certain désir d’attirer l’attention des “nouveaux hommes forts” du pays sur ce qui semblait se dessiner au vu et su de tous les Guinéens :  les dérives dictatoriales d’un régime qui était censé rompre avec les démons du passé. 

La naïveté de l’espérance aidant, nombreux étaient les citoyens qui avaient vu dans l’ex-patron des Forces Spéciales un patriote qui ne trahirait pas son engagement initial. Or aujourd’hui, nous avons un militaire qui, peut-être en voulant trop bien faire, est loin de mesurer l’étendue de ses égarements. 

Il y a encore quelques mois, à l’aune du remaniement gouvernemental et de la nomination d’un nouveau Premier ministre censé redonner du souffle à la refondation agonisante du CNRD, beaucoup de Guinéens espéraient sincèrement un revirement de la part des nouvelles autorités. 

Mais la fameuse refondation du CNRD a perdu aujourd’hui son éclat d’antan. Le lieutenant-colonel bien aimé, substitué par un Général d’apparat, a hélas raté la vraie bataille de la refondation et ses nombreux rêves avec lui.

Le pays est désormais dans la main d’une milice affamée et d’un groupe de mercenaires sans éthique. Ils ont souillé la République et prostitué la citoyenneté ; ils ont tué l’Etat et écartelé la Nation.

En trois ans, la Guinée est devenue un absolutisme médiocratique qui fait honte. Tout a été démantelé par ces idiots qui font office de gouvernants : la justice ; l’armée ; les médias ; l’ensemble de nos institutions constituées.

Commençons par la justice, l’obscure boussole qui n’indique désormais plus rien, sinon les flagrants dévoiements de ceux-là mêmes qui plastronnaient et promettaient des changements qui n’ont jamais su éclore.  Pourtant, dès le 05 septembre 2021, au regard de ce qui est devenu, au fil des erreurs itératives, un coup d’état « encombrant », Mamadi Doumbouya nous promettait une transition refondatrice qui ferait de la justice le baromètre de ses mesures « audacieuses ». 

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Et la lumière, telle une prophétie qui annonce la fin d’un vieux monde, peine encore à luire. Les ténèbres d’autrefois qu’il fallait à tout prix combattre ont eu raison du chef suprême des armées. 

La nouvelle Guinée, celle qui vit sous les auspices de la refondation, est bien plus malheureuse que celle qui agonisait sous l’empire du régime d’Alpha Condé. 

Là au moins, les corrupteurs et les corrompus étaient en liberté, jouissant d’une tolérance précaire en attendant que le destin, dans son infinie bonté, ne mette fin à leur avidité vorace. Aucun semblant de lutte contre les détournements de fonds publics ne prospérait. Pratiquant les anciennes méthodes de prédation tirées des régimes précédents, le chef ne voulait pas ouvrir une boîte de pandore susceptible à long terme de l’engloutir.  

Aujourd’hui, c’est tout à fait le contraire. La boussole déteste les corrompus du régime déchu mais adore les amis du “colosse de Conakry” qui ont complètement vidé les caisses de l’Etat.

La différence d’appréciation a toute son importance. Les premiers sont les amis de la CRIEF et de son procureur bien aimé. Ils ont perdu leur privilège dès l’instant où ils ont été virés de force à la tête du pays. 

Nul ne se soucie de leur sort. Qu’ils meurent ou qu’ils vivent importe peu : à partir du moment où ils ont perdu la bataille de Kaloum le 05 septembre à l’aube, leur destin est scellé. 

Le procureur adore les étriller. C’est à croire qu’il en tire une jouissance ineffable. Mais à y regarder de plus près, il n’a pas tort. C’est toujours excitant de malmener les chefs des royaumes conquis. 

En Europe médiévale par exemple, les reines déchues étaient transformées en putes et mises au service des souverains victorieux. La Guinée actuelle s’inscrit dans la reproduction systématique de ce schéma. 

Il se dit même que l’adorable progéniture d’un ancien premier ministre est désormais la fille de joie d’un général bien connu. Que ces ragots soient vrais ou faux, une chose reste sûre : les Guinéens en raffolent. Cela montre à quel point dans ce bled paumé, il ne faut surtout pas tomber de son piédestal, au risque naturellement de devenir la risée de tous. 

Les seconds sont les amis du Général autoproclamé, lequel a des armes et une morale de loup. Son ministre de la défense déclarait lors d’une récente allocution publique que dans leur corporation, il n’est point question de tuer, l’on prépare seulement les frondeurs à rencontrer leur Dieu. Le Général Sadiba Koulibaly n’est donc pas mort, il a simplement été ramené à son Seigneur. 

C’est bien pourquoi nul n’ose porter à l’encontre de ce groupe privilégié la moindre accusation. Que l’ancien patron de la SONAP ait acheté une villa de plus d’un million de dollars au Texas, ou que l’actuel directeur de cabinet du président soit accusé d’accointance avec les sociétés minières et de détournement de fonds publics, ou encore que le président et ses amis les plus proches construisent des manoirs partout dans Conakry, il n’est pas de justice suffisamment indépendante pour y jeter un regard. Les magistrats peureux tiennent encore à leur vie et la boussole exige qu’ils regardent ailleurs. L’armée (enfin la milice d’Etat) est là pour s’assurer que les gardiens de nos lois ont bien compris les injonctions du colosse. 

C’est aussi pour cela que l’armée mérite d’être appelée à la barre, car vidée de nos jours de toute sa substance républicaine. Elle est devenue, du fait de sa politisation démesurée et de son lien incestueux avec le pouvoir, l’institution la plus détestée de la quatrième République. Plus personne n’a confiance en elle. 

Sa déliquescence commence à la mort du Président Sékou Touré.  Alors qu’elle n’a pas vocation à gouverner, elle s’empare du pouvoir par la force et se légitime par les armes. En 24 ans, elle transforme la Guinée en un Etat voyou, chantre de la corruption et du grand banditisme. 

Depuis, elle ne sait plus dire ses principes et ignore tout de ses priorités. Sitôt qu’un président meurt, elle est à l’affût prête à bondir. Ce qui l’intéresse, ce n’est point l’État, elle ne sait pas ce que c’est ; c’est le pouvoir et les nombreuses richesses qui en résultent. Nos militaires ont déserté les casernes. Les fondamentaux de la profession n’ont plus la moindre importance pour eux. Le sacerdoce républicain, celui qui fonde le dévouement des soldats à la patrie, est littéralement prostitué.   

Cela explique à bien des égards la rupture de confiance entre Alpha Condé et l’armée. La méfiance était maximale et le divorce, pratiquement indéniable. Il lui fallait trouver une alternative pour se soustraire d’une influence qu’il trouvait nauséabonde. 

L’unité des forces spéciales a ainsi été créée et un certain légionnaire, dont la montée fulgurante annonçait déjà l’impossible cohabitation avec certains fidèles du régime, en est devenu le patron. Mais comme on pouvait s’y attendre, le coup d’Etat n’a pas été évité pour autant. Et aucun général n’a appelé à la résistance. Tous ont rejoint le colonel évinceur, trahissant leur serment d’honneur. 

Une nouvelle philosophie s’est distillée sous ce drame : L’armée n’attend plus, comme elle le faisait jadis, la mort des présidents pour s’emparer du pouvoir. L’attente est longue et les vieux résistent bien souvent à la mort. Il faut donc agir vite, les enlever de force, par la trahison et le concours des armes. 

Aucune armée de fonction, celle qui jure par la patrie et par les principes républicains, n’existe en Guinée. Nos militaires sont des mercenaires affamés sans état d’âme, capables de marchander leur serment aux plus offrants. Leur loyauté est rentière et s’obtient à coup d’or et de diamants. Doumbouya en a profité pour en faire une entreprise privée au service de ses intérêts cupides.

Pour ce qui est de la presse, la transition a réussi son pari refondateur. Son président disait, au lendemain du coup de force, qu’il fallait éviter les erreurs du passé. Les sbires du régime entendent mettre en application cette phrasée de génie. L’erreur pour eux a été de sacraliser la liberté d’expression. Ils ont décidé, à coup d’injonctions liberticides et de manœuvres intimidatrices, de la malmener. 

La censure est devenue la nouvelle règle ; l’inquisition la norme. Pour vivre dorénavant en paix sous l’empire de ce régime rectificateur, il faut succomber à la propagande d’Etat et chanter les louanges du “président bâtisseur.” Certains médias frondeurs qui ont eu le courage d’outrepasser les injonctions “divines” du chef suprême des armées se sont vus retirer leurs licences par une haute autorité qui est devenue basse à force de cirage de pompe et d’indignité. 

Le service public est complètement tombé en désuétude et ses valeurs, galvaudées. Personne, dans cette transition, ne se soucie de l’intérêt général. Chacun roule pour sa gueule et ses intérêts de circonstance, ministres et autres sous-fifres. 

Aujourd’hui, donc, tout porte à croire qu’il n’y a plus de retour en arrière possible, que la transition n’a pas envie de réussir. Que quoi qu’on fasse, le Général de corps d’armée ne reviendra pas à ses engagements de colonel. Que tout périclite : la justice, la presse, le service public, la nation. Que l’État s’érode ; les acquis se fragmentent ; les grands principes républicains s’étiolent. Qu’hier encore, ce sont deux activistes de la société civile qui ont été enlevés par des militaires encagoulés ; que quelques jours avant, c’est un général qui mourait dans des conditions opaques ; que souvent – presque toujours – ce sont des citoyens, amas de gens ordinaires que personne ne voit, qui subissent la violence de ce pouvoir immoral qui est devenu, au fil des mois qui passent, le réceptacle de l’arbitraire et de l’autoritarisme. 

Alors que toutes ces récentes dérives annoncent les vraies couleurs des ambitions d’un roitelet qui n’a visiblement aucun désir de céder le pouvoir comme il l’avait promis, le peuple devra se lever pour exprimer son rejet de cette forfaiture en préparation au Palais Mohammed V. C’est le moment d’exprimer son désaccord par la défiance. 

L’armée est en déroute. Plus personne ne peut l’arrêter si ce n’est le courage inébranlable des citoyens ; l’intrépidité de ceux qui font confiance à la République. Pour cela, nos oppositions, quand bien même profondes, doivent laisser place à nos convictions partagées. C’est l’histoire qui nous regarde et c’est la postérité qui nous jugera. Soyons donc à la hauteur des deux.