Le 26 juillet dernier, le président de la République du Niger Mohamed Bazoum a été pris en otage par sa garde présidentielle. Séquestré par des ravisseurs ayant à leur tête le général factieux Abdourahamane Tiani (ancien chef de la Garde présidentielle), le président prisonnier a sollicité sa libération et celle des membres de son gouvernement, ce qui implique aussi de restaurer son autorité dans un pays en proie à une crise protéiforme sans précédent. 

La prise d’otage en cours doit déboucher sur une victoire de la démocratie. Car il ne s’agit pas tant de soutenir un homme fût-il un président de la République, mais des principes. Tous les Etats de l’Afrique de l’Ouest, à l’exception du Nigéria et du Sénégal, jouent leur survie institutionnelle au Niger. Reculer face aux putschistes et leurs menaces teintées d’impuissance, c’est ouvrir la voie aux renversements des présidents légitimement élus et faire le lit d’une instabilité généralisée et durable. 

L’immense dangerosité intellectuelle et philosophique de la bibliothèque coloniale

L’autorité de la CEDEAO, du moins ce qu’il en reste, est là aussi sérieusement en jeu. L’institution est au bord de l’effondrement et en passe d’être contrôlée par des putschistes qui n’ont aucune volonté de quitter le pouvoir. C’est pourquoi le soutien précipité du Burkina Faso par son actuel « président » de transition le capitaine Ibrahim Traoré n’est rien d’autre qu’une volonté d’étendre l’influence russe et ainsi s’assurer du maintien au pouvoir des militaires au mépris de toute action démocratique. 

Le 27 juillet, lors d’une réunion entre les putschistes burkinabè et les autorités russes à l’occasion du deuxième sommet Russie-Afrique, en face à face avec Poutine et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov notamment, Ibrahim Traoré affirmait : « Je puis vous rassurer que la situation que la Russie vit actuellement avec l’opération militaire spéciale, vous avez en tout cas le soutien du peuple burkinabè et le soutien donc de notre gouvernement […] Actuellement la sous-région est un peu mouvementée, par tout ce que vous savez, le désir de changement des différents peuples. Nous ne dirons pas le désir de changement de partenaires, mais le désir de changement de la politique, ce qui amène forcément à tourner dos à nos partenaires traditionnels et à nous tourner donc vers les vrais amis, que sont donc la Russie qui nous ont soutenus depuis la période de décolonisation jusqu’à aujourd’hui ». 

Ibrahim Traoré poursuit en demandant entre autres à la Russie de soutenir le putsch au Niger, mais en le conditionnant par le départ de l’armée française dans le pays : « Dans ce sens, je pense que pendant le sommet vous avez compris qu’au Niger il y a eu des événements qui ont poussé les militaires à prendre leur responsabilité aussi. […] Il se peut que dans les jours à venir ce pays connaisse des sanctions ; nous nous devons de les soutenir [NDLR, les putschistes nigériens] tant que leur direction sera la même chose que nous souhaitons. C’est-à-dire un monde multipolaire, vers leur souveraineté, en tout changer carrément de partenaire », a-t-il indiqué.

Il est donc à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une volonté de souveraineté, d’un new deal ou la poursuite des efforts des pères fondateurs (Kwame Nkrumah, Sékou Touré, etc.), mais aussi la philosophie des grands penseurs comme d’Edward Wilmot Blyden, Joseph Auguste Anténor Firmin. Il est plutôt question – et nul besoin de le prouver désormais – de remplacer la France par la Russie. Ni plus ni moins. Avec la Russie, partenaire des Etats faillis, la domination serait inéluctablement maintenue dans une forme beaucoup plus acceptable et le pillage serait plus accentué. 

La Russie ne pourra jamais développer l’Afrique. Elle a tout intérêt d’arrêter de soutenir l’arrivée au pouvoir des militaires parce que c’est une situation qui va tôt ou tard se terminer par une victoire de la démocratie. Or les opinions migrent. Aujourd’hui, elles sont braquées à raison contre la France, demain ce sera contre la Russie et ce sera plus violent. Il est à signaler contrairement à ce qu’on affirme, le ressentiment anti-français en Afrique n’est pas simplement le fait d’une manipulation politique, mais l’accumulation d’une histoire douloureuse, le mépris vis-à-vis du continent, le difficile traitement des africains en France, le tout couronné par une amplification sur les réseaux sociaux via des puissances étrangères. 

En Afrique de l’Ouest et précisément en Guinée, dès le collège on apprend aux élèves l’histoire de l’Afrique avant la traite négrière, pendant la traite négrière, l’esclavage, la colonisation, les complots après les indépendances, les effets de la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885 qui atomisa les pays africains en fonction des précarrés et des intérêts géoéconomiques des puissances coloniales. Il y a aussi, et on en parle moins, l’immense dangerosité intellectuelle et philosophique de la bibliothèque coloniale. 

La contradiction française en Afrique

Des centaines de personnes soutenant le coup d’État au Niger se sont rassemblées le 3 août 2023 à Niamey. | bfmtv

La jeunesse ouest-africaine a grandi et continue de grandir avec cette douloureuse mémoire. À chaque fois qu’elle a donc l’occasion de manifester sa colère envers la France, elle le fera. Il y a ainsi une forme de solidarité qui s’est créée chez tous les Africains – surtout francophones – sur ce sujet, un consensus tacite. Il appartient à la France de faire face à son histoire, d’ouvrir les archives, d’organiser des conférences de vérité et de reconnaître les crimes les plus sanglants de son passé colonial en Afrique. 

Par ailleurs, le président Bazoum s’est toujours montré critique contre les putschistes. Il recevait habituellement des militants de la société civile guinéenne comme le FNDC (Front national pour la défense de la constitution) et même des personnalités politiques guinéennes et burkinabè pour encourager le retour à l’ordre constitutionnel dans ces deux pays. Il a également été très critique vis-à-vis des putschistes maliens. Aujourd’hui, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer la prise d’otage perpétrée contre lui par une bande d’assaillants. 

Les agissements actuels des ravisseurs nigériens répondent aux demandes du Mali et du Burkina. La position de la junte guinéenne semble plutôt nuancée pour le moment. D’où la dénonciation sans surprise des accords de coopération militaire, de défense et de sécurité conclus avec la France par les ravisseurs nigériens. À savoir l’accord du 19 février 1977 sur la coopération militaire technique, l’accord du 25 mai 2013 relatif au régime juridique de l’intervention des militaires français au Niger pour la sécurité au Sahel et l’accord du 19 juillet 2013 sur le statut des militaires français présents au Niger, l’arrangement technique du 2 janvier 2015 relatif au stationnement et aux activités du détachement interarmé français sur le territoire nigérien et le protocole additionnel du 28 avril 2020 concernant la force européenne Takuba. Bien entendu, la France a refusé d’appliquer cette dénonciation, clamant l’illégitimité des ravisseurs auxquels elle refuse d’obéir. À noter que l’armée française est présente dans le pays dans le cadre de la lutte contre les groupes armés terroristes, ainsi que la sécurisation de « l’approvisionnement des centrales françaises en uranium dans les mines du nord du Niger, une zone désertique seulement séparée du Mali par un trait sur les cartes géographiques ».

Toutefois et c’est là la contradiction française en Afrique, la France n’a pas agité l’illégitimité des putschistes maliens et burkinabè qui, eux aussi, ont dénoncé les accords de coopération militaire et ont réussi à faire partir la France de leur pays, présente en l’occurrence dans le cadre d’un appui militaire dans les domaines de la formation, de l’entraînement et d’appui aux opérations. Aussi, il y a une forme de nihilisme de la perte d’influence de la France en Afrique de l’Ouest. Un nihilisme entretenu par des gens de la diaspora, se considérant davantage français qu’africains et voulant faire bonne presse quand toute leur analyse est un condensé d’opinion et un vide sidéral. La France gagnerait davantage à écouter les spécialistes africains, les centres d’études stratégiques africains et la nouvelle génération de jeunes analystes africains qui connaissent parfaitement la région et le continent et qui analysent de façon jubilatoire les événements à visée géopolitique et géostratégique. 

L’autre contradiction française vient de certains médias français qui n’informent pas avec rigueur mais restent superficiels et paternalistes. Le 03 avril, par exemple, Le Monde titrait « À quel point la France est-elle dépendante de l’uranium nigérien ? ». L’auteure Assma Maad tente d’expliquer à l’opinion publique française que la France n’est pas très dépendante de l’uranium nigérien et que les mines de l’Aïr sont arrivées à leur épuisement. Tout ou presque dans cet article est vrai. Cependant, il souffre d’un manque grave des éléments de contexte. 

La France et l’Union européenne dépendent de l’uranium nigérien

Car ce qu’esquive Le Monde « oublie » de dire, c’est qu’une mine épuisée est par définition une mine qui a été exploitée. D’après la World Nuclear Association, « La France utilise quelque 9 700 tonnes de concentré d’oxyde d’uranium (8 200 tonnes d’uranium) par an pour sa production d’électricité. Une grande partie provient d’Orano au Canada et au Niger ». Le Niger représente en août 2023, 5 % de la production minière mondiale. Cependant, Le Monde parle de 4 % en 2022 quand Orano parle de 3 % à la même année. La tendance est donc à la sous-estimation quand les faits sont plus nuancés. Un petit rappel historique pourra donc être intéressant en vue de comprendre les enjeux au Niger. 

En pleine période coloniale, le Bureau français de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) fait la découverte de l’uranium pour la première fois à Azelik au Niger en 1957. S’ensuit une série de découvertes, au nombre de huit dans le pays. Précisément à Abokurum (1959), Madaouela (1963), Arlette, Ariège, Artois et Taza (1965), Imouraren (1966) et Akouta (1967). 

C’est le 3 août 1960 que le pays est proclamé indépendant. Le 8 novembre de la même année, les Nigériens voient « l’élection » de leur premier président, Hamani Diori du parti unique PPN-RDA. Il sera renversé le 15 avril 1974 par un coup d’État de Seyni Kountché qui régnera jusqu’à sa mort en 1987. Tous les autres Chefs d’Etat démocratiquement élus ont eux aussi été victimes de coups d’Etat jusqu’à Mamadou Tandja, à l’exception notable de Mahamadou Issoufou. C’est un pays accoutumé aux coups d’Etat – son armée en tout cas en a bien l’expérience. 

Parler de la capacité de production au niveau mondial alors qu’il est question de la France n’est pas un procédé clair. La réalité est que le Niger fournit 15 % de l’approvisionnement en uranium à la France et 20 % à l’Union européenne. Cela place le pays en position de partenaire stratégique. D’ailleurs, le 04 mai 2023, après la signature de l’accord global de partenariat avec l’Etat du Niger, Nicolas Maes, Président d’Orano Mining, a déclaré : « Nous sommes particulièrement heureux de cet accord qui confirme la place majeure du Niger au sein de l’industrie mondiale de l’uranium… ». Quatre mois plus tard, on produit un narratif contraire. De fait, la France et l’Union européenne dépendent de l’uranium nigérien, ce qui constitue un risque majeur pour la souveraineté énergétique de l’Hexagone dont 70 % de l’électricité provient du nucléaire. 

La parole des putschistes ne doit strictement rien valoir

Manifestation ce dimanche 06 août 2023 dans un stade à Niamey en faveur des ravisseurs nigériens. | AFP

Si les ravisseurs qui cherchent désespérément à féconder un coup d’Etat réussissent leur pari, ce sera bonjour à Wagner au Niger. La présence de la milice russe étant purement économique, elle pourrait donc s’accaparer certaines mines comme le site Imouraren qui représente un investissement de 1,9 milliard d’euros. Wagner permettra de renforcer de facto la dépendance de l’Union européenne à l’uranium russe qui sera pour Poutine un moyen supplémentaire de chantage.

Wagner et la Russie n’ont apporté aucun progrès dans les pays où ils sont présents. En Centrafrique et au Mali où le groupe exploite des mines, il n’y a à ce jour aucune retombée économique viable des emprises minières. Qu’en est-il des retombées des activités d’Orano au Niger ? Le groupe se gargarise d’un langage trop corporate qui ne dit pas précisément les projets de développement menés au Niger depuis sa présence dans le pays il y a plus de 40 ans. Il affirme être le premier employeur privé du pays, que les activités minières constituent un atout majeur de développement de la région, etc. Que des mots, on ne voit rien. Si Cogema devenue un temps Areva et aujourd’hui Orano a suffisamment investi dans le pays, qu’elle le montre. 

Comme rappelé le 16 juin 2023 dans un rapport publié par Les Jeunes IHEDN, sur les scénarios du futur, il y a un risque sérieux « d’institutionnalisation du pouvoir militaire » en Afrique de l’Ouest. Ce qui se passe actuellement au Niger le prouve très bien. Même l’ancien président Mahamadou Issoufou n’ a pas été épargné par les ravisseurs de Bazoum : on sait de sources convergentes que l’ex-président et sa famille ont aussi été séquestrés. Ces putschistes osant tout pour arriver à leurs fins, la CEDEAO devrait aussi tout oser pour enterrer définitivement l’arrivée des militaires au pouvoir. 

La parole des putschistes ne doit strictement rien valoir quand bien même ils jouissent d’un soutien populaire. Parce que le peuple a toujours été bête, il est l’effet du présent. Il a toujours soutenu les nouveaux maîtres avec la même ferveur et la même euphorie ; le Burkina Faso est un triste exemple. Le 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba renverse le président de la République Roch Marc Christian Kaboré. Le peuple est sorti « massivement » pour acclamer le putsch. Huit mois plus tard, le putschiste sera lui aussi renversé par le capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022. Le peuple est là aussi sorti pour marquer son soutien avec les mêmes pancartes « À bas la France ». Il ne suffit donc pas de grand-chose pour rallier ou amadouer le peuple si facilement malléable. 

Les putschistes doivent être pourfendus, car l’ensemble des actes qu’ils posent, des décisions qu’ils prennent sont foncièrement illégitimes. Tous les militaires arrivés au pouvoir au Mali, au Burkina et au Niger ont le même refrain pour justifier leur vilain acte : « La faillite sécuritaire ». Faut-il le rappeler, un président de la République ne va pas faire la guerre à la place de celles et ceux dont la mission est de donner la mort, mais aussi d’en recevoir, de protéger l’intégrité territoriale en l’occurrence contre les groupes armés terroristes. C’est la faute aux militaires s’ils ne parviennent pas à protéger leur pays. Il appartient d’ailleurs au président, s’il a donné à l’armée les moyens de défendre la patrie mais que les résultats au front soient décevants ou peu reluisants, de limoger les chefs militaires incompétents qui pour la plupart n’ont visiblement d’ambition que le luxe des palais. Car le président est l’émanation du peuple qui l’élit par la voix des élections. Il n’appartient aucunement à l’armée tant que la constitution est respectée de mettre son nez dans les affaires politiques. Un militaire n’est pas fait pour gouverner mais pour être commandé, pour mettre sa vie et son honneur au service des intérêts suprêmes de la République et non de ses propres intérêts. 

C’est un secret de polichinelle qui mérite une réaffirmation : le pouvoir militaire n’a absolument rien apporté au Niger si ce n’est malheurs, désillusions et insécurité. Les Nigériens sont ainsi pris au piège et seront, si les ravisseurs de Bazoum parviennent à se maintenir au pouvoir, jetés dans le cachot du désespoir.  La pauvreté va s’accentuer dans le pays, ce qui entraînerait un nouveau putsch.