L’indépendance du 02 octobre 1958 a changé à jamais le destin de la Guinée française. Après avoir subi, dans la douleur et dans la violence, 60 ans de colonisation, l’heure était venue de tourner la page, une page pleine d’humiliation et de drame.

Pour Sékou Touré et ses compagnons de la lutte syndicale pour l’indépendance, il était surtout question de reconstruire la Guinée et le guinéen sur les cendres de l’exploitation humaine, de la brutalité coloniale et de l’ensauvagement des peuples autochtones. Un défi gigantesque, presque insurmontable. Car comment définir un peuple qui ne se lit qu’au travers de la loupe de la métropole dominatrice, qui ne se connait que par l’image inversée et surréaliste, inhumaine et fausse, construite par le maître durant 60 ans ?

Cette réflexion substantielle était présente en dépit de l’euphorie de l’indépendance obtenue au prix d’une lutte pacifique. Et les questions existentielles ne cessaient de tomber telle une pluie torrentielle :  Quelle société concevoir ? Comment se positionner dans le monde bipolarisé d’alors ? Quelle structure mettre en place pour réussir une indépendance dont le Général de Gaulle, exaspéré par l’affront du 25 Août, avait promis de tirer toutes les conséquences ? Et surtout, quelle nation pour la Guinée ?

L’idée d’un héritage commun pour constituer le socle de la jeune République était pratiquement impossible à démontrer, en ce que la Guinée, telle qu’elle existe de nos jours, est une construction purement et simplement coloniale. Avant l’invasion impérialiste, les terres « des rivières du sud » étaient habitées par différents empires ou royaumes souverains, lesquels étaient constitués de grands groupes ethniques et tribaux.

Fonder un Etat unitaire en recourant aux acquis non homogènes de ces micro-Etats auraient été suicidaires en raison de l’attachement prononcé de chaque ethnie à sa société d’origine. 

Confus, une alternative s’offrait donc à nos pères fondateurs : soit partir de rien pour créer un modèle expérimental, donc une création ex nihilo ; soit reproduire ou s’inspirer de modèles hérités des pays occidentaux.

Devant une telle impasse, les autorités du régime primordial de la Guinée indépendante paraissaient dépourvues et complètement désarmées. Car si créer à partir de rien peut être audacieux, les conséquences d’une aventure aussi contingente seraient susceptibles de plonger l’État naissant dans une crise capable de le disloquer.

Pour éviter cette voie risquée, les autorités originelles ont fait le choix de reproduire en Guinée un régime communiste importé de l’Union Soviétique. Ce régime, pour sa mise en œuvre, ne demandait pas un grand effort de créativité. Fallait-il seulement reproduire structurellement, politiquement, philosophiquement et économiquement les acquis des pays d’inspiration marxiste.

D’une colonisation française imposée, nous voici, quelques jours après notre indépendance, sous domination idéologique stalinienne. Le pire est que nous avons choisi volontairement cette dépendance.

Ce péché originel nous conditionne encore aujourd’hui. Qui sommes-nous au-delà de ce qu’on dit de nous, de ce qu’on a fait de nous ?

La Guinée traverse une crise existentielle depuis sa naissance en tant qu’Etat indépendant. Tout dans notre être contemporain est une fabrique coloniale. Notre rapport à l’arbitraire, au totalitarisme domestique et à la violence généralisée est, en grande partie, la conséquence de notre ensauvagement et de notre déshumanisation par l’occupation coloniale. Notre indépendance une fois recouvrée, nous n’avons pas pris la mesure de l’étendue de notre aliénation, laquelle s’est distillée dans notre habitus et nous a transformés, vis-à-vis de nous-même et envers nos compatriotes, en de fabuleux colons.

Parce que non interrompu, ce mécanisme d’abrutissement originel nous pousse encore aujourd’hui à vouloir immodérément ressembler à nos envahisseurs, tant dans leur organisation politique et économique que dans leur manière de faire société.

Une indépendance conservée au prix d’un totalitarisme difficile à critiquer 

Première colonie française de l’Afrique subsaharienne à acquérir son indépendance le 02 octobre 1958, l’accès de la Guinée au statut d’Etat a été la suite d’une lutte pacifique menée à la fois par des politiques et des syndicats. Ayant conduit à la naissance d’un État au peuple fier et engagé, cette indépendance a été à la fois une fierté – pour son peuple et son élite politique et intellectuelle, et un défi – compte-tenu des enjeux qu’elle suscita et des attentes auxquelles elle devait répondre.

D’abord une fierté parce que cette indépendance a été acquise sur la base d’une lutte. Une lutte pacifique marquée par des engagements syndical et politique, des choix affirmés, un dévouement pour une cause (la liberté), et une détermination à assumer toute seule son destin. La celebre formule « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » contenue dans le discours choc prononcé par Sékou Touré devant le Général De Gaulle le 25 août 1958 est l’une des plus belles illustrations à cet effet.

Cette indépendance était également un défi, un grand défi. D’abord parce que le jeune Etat avait l’obligation de se construire. Une construction politique et institutionnelle, sociale, culturelle, économique et identitaire. Ensuite, parce qu’il devait faire face et résister aux politiques d’agenouillement mises en place et conduites par l’ancienne métropole à l’encontre des Etats fraîchement indépendants.

Le jeune État était donc face à une situation complexe et délicate. Car il fallait trouver les moyens de se construire en tant que nouvel État, dans un environnement géopolitique controversé (guerre froide, luttes de libération nationale dans certains États encore dominés, engagement de non alignement, etc.). L’ancienne métropole ayant gardé une politique de contrôle sur la plupart, voire l’ensemble des anciennes colonies, il fallait également et surtout, pour éviter de tomber dans les mêmes situations de renversement de régimes perpétrées dans certains Etats du continent (Mali, Burkina Faso, Centrafrique, etc.) par des militaires bénéficiant d’un soutien et/ou une légitimation des puissances occidentales dont la France en tête, trouver sa voie pour maintenir la stabilité politique des institutions. Ce qui conduisit à la naissance progressive d’un régime totalitaire avec toutes les parades et vices qui siéent. 

Construit sur la base d’un contrôle total du corps social avec la suspension de la quasi-totalité des libertés (liberté politique, liberté de la presse et d’expression, etc.), une monopolisation de tous les pouvoirs et un total contrôle des institutions,  le régime totalitaire régna sur le pays pendant plusieurs décennies. Un totalitarisme contrôlé par un parti Etat qui s’engagea dans une logique visant à faire taire toute voix dissonante, et réprimer toute tentative d’opposition à la « volonté du peuple ». Un peuple à la définition toute relative et à la composition très stricte. Car n’est considéré comme peuple dans cette conception, que l’ensemble de ceux et celles qui ont accepté de se ranger du côté du parti au pouvoir.  Le peuple, disait en effet le responsable suprême de la révolution, c’est la « partie saine de la nation ». Toute opposition à la « volonté du peuple », c’est-à-dire à la vision du parti au pouvoir, était considérée comme une trahison à la nation.

Cependant, ce mode d’organisation et de fonctionnement du premier régime politique n’était pas exclusivement guinéen. C’est un système qui ne faisait que reproduire les cadres normatifs de tout régime totalitaire. Le contrôle total du corps social, la fonte de l’Etat dans le parti qui gouverne (d’où la notion de Parti Etat), le bannissement d’un certain nombre de libertés à savoir la liberté politique, de la presse, de l’expression… sont entre autres des éléments indissociables aux régimes totalitaires. 

Quant au cas guinéen, le choix de cette orientation était soutenu par un argumentaire narrant une résistance face aux politiques, réelles ou supposées, mises en place par l’ancienne métropole ayant pour but d’agenouiller le jeune Etat. C’était le moyen de combattre et gagner contre le « néocolonialisme » des « nouveaux » envahisseurs. 

Lutter contre l’impérialisme dans toutes ses formes et manifestations possibles, quitte à surseoir à certains éléments fondamentaux de la liberté au nom de laquelle le colonialisme a été combattu, était désormais « nécessaire ». Par conséquent, la liberté comme principe fondateur de la lutte pour l’indépendance était désormais léguée au second plan. Le plus important était plutôt le maintien du régime qui en a découlé. Il fallait donc, à chaque fois que cela semblait nécessaire, trouver des ennemis à écarter, des traitres à punir. La mise en garde et l’institutionnalisation de la peur devinrent donc la norme.

L’échec de nos pères fondateurs : De l’impossibilité de faire nation 

Les Etats  issus de la destruction du système colonial en Afrique ont émergé dans un contexte historique particulièrement complexe. Une période marquée par une multitude d’événements à grands enjeux géopolitiques : la guerre froide, la montée du communisme, les luttes de libération nationale (dans les colonies portugaises en particulier), l’apartheid, des coups d’Etat fréquents et très violents dans certains jeunes Etats, etc. C’est dans ce contexte très controversé de la scène internationale que les Etats africains nés des indépendances devaient œuvrer pour la construction de leurs nations, des Etats-nations.

Les analyses de la question de nation, d’identité nationale, dans le contexte africain de lendemain des indépendances, abordent souvent cette question en insistant beaucoup voire trop sur les formes des régimes politiques qui régnèrent pendant cette période. Pourtant, l’idée de nation n’est pas directement associée à une forme de gouvernance particulière, un type de régime politique particulier. Que l’on soit en démocratie, en monarchie ou même en régime autoritaire ou totalitaire, la construction de la nation reste profondément possible s’il y a une volonté politique allant dans ce sens. Le cas de la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) qui est l’une des meilleures illustrations d’Etat totalitaire en ce XXIème siècle, reste un exemple palpable à cet effet.

Certes, la construction d’un État-nation ne peut se faire sans des dynamiques politiques mises en œuvre à cet effet. Cependant, la nature du régime (démocratie ou autoritarisme), la forme de l’Etat (république ou monarchie) ne sont pas un passage obligé de ce processus.

La construction d’une identité nationale passe par la mise en place et la réalisation d’un élément fondamental qui ne peut émerger que sur la base de la volonté de l’Etat.  Ce passage « obligé » est l’enseignement du principe d’appartenance commune qui inclut tous les membres de la communauté sans en exclure aucun. C’est le principe de la république une et indivisible. Ce qui n’est possible que par la construction d’un socle commun, la narration d’une histoire commune et l’institutionnalisation de références communes qui permettent l’édification d’une vision commune du récit national.

Or, une lecture approfondie de notre histoire politique laisserait entrevoir un flou sur les actions de nos pères fondateurs s’inscrivant dans une optique de construction d’un État-nation logé au-dessus de toutes les appartenances groupales (ethnies, communautés, régions, religions…). Le premier régime, ou du moins ses leaders, étaient plutôt animés par la sauvegarde des pouvoirs et privilèges acquis grâce à leur statut de gouvernants. Entre cérémonies d’exposition des crimes d’Etat (emprisonnement, pendaison publiques…), propos accusatoires et autres actes de dissuasion de tout genre, le contrôle du gouverné jusque dans sa plus profonde intimité paraissait la principale préoccupation du politique, si ce n’était la seule. La recherche d’ennemis et de traîtres à abattre était plus préoccupante que l’édification d’un État-nation hissé au-dessus de toutes les formes d’appartenance.

Et dans cette quotidienne chasse aux sorcières, les responsables du régime n’hésitaient pas à se baser sur des appartenances ethniques ou communautaires, lorsque cela paraissait nécessaire, pour mener à bout la dynamique de contrôle continu et complet de la société des gouvernés. La mise en place des dynamiques précitées, indispensable à la construction d’un véritable sentiment de renaissance et d’attachement à des éléments identitaires librement choisis étaient inexistants.

      L’arbitraire des autorités gouvernantes 

Les guinéens, pour pérenniser les acquis d’une indépendance difficile à démontrer, ont créé en Guinée un Disneyland géant, un monde fantastique où tout est faux, supercherie et mensonge. Rien n’est vrai, ni le désir apparent d’appartenir à un État unificateur des identités nationales, ni la volonté de créer un espace commun où vivre ensemble est possible.

Aucun citoyen ne veut voir la réalité en face. Chacun se complait dans une utopie ridicule, invente un monde imaginaire et fantasme une Guinée paradisiaque qui n’adviendra peut-être jamais.

Toute la trajectoire historique récente et les acquis qui en découlent sont romancés. L’indépendance du 2 octobre, parce qu’ayant été incapable de poser les fondations d’un projet philosophique autonome et afrocentré, a été une arnaque spectaculaire. Les pères fondateurs de l’État moderne ont manqué d’inventivité. L’esprit de génie, comme on dit, a fait défaut au moment où cela était vital pour la mise en place d’un véritable État-nation. 

Car avoir l’indépendance, pour intéressant que cela puisse paraître, n’augure rien de bon si l’Etat qui en resulte est incapable d’exister de lui-même et par lui-même. Or, c’est ce qui est advenu. Le PDG RDA qui rassemblait tous les partis politiques de Guinée après les élections territoriales de 1957 n’a pas été capable, en dépit des grands discours, de fonder un projet de société à l’image de ce qu’on pouvait attendre de lui. Le modèle d’organisation politique et social qui devait marquer l’entrée inaugurale de la Guinée dans le concert des nations indépendantes a été cherché dans les vieux ouvrages d’inspiration marxiste et léniniste. Le nouvel État, par conséquent, était, dès sa naissance, porteur de trois  problèmes fondamentaux qui vont compliquer son processus de pérennisation. 

Le premier était d’ordre pratique. La soustraction de la Guinée des jougs d’une France en quête de légitimité dans ses colonies était pour Paris un affront qu’il fallait à tout prix punir. Les sanctions ne se sont pas fait attendre. Quelques jours après la déclaration d’indépendance, nous avons assisté à la révocation soudaine des aides, à l’annulation des financements de projets en cours, au rapatriement en Métropole des enseignants de l’école coloniale, au gel des fonds de développement.

Le second était méthodique. Dans un monde bipolarisé en proie à une guerre froide, la Guinée a commis une erreur stratégique d’envergure. Plutôt que de rester fidèle aux conclusions de la conférence de Bandung, c’est-à-dire demeurer non-alignée, elle a subtilement choisi le camp de l’URSS.

Le dernier était idéologique. En choisissant le communisme comme modèle, le premier régime a créé en Guinée une lutte de classe qui n’avait pas lieu d’être en raison d’une part, de la politique de paupérisation  mise en place par le régime colonial empêchant les colonisés d’accumuler des richesses et d’autre part, d’inexistence de couches sociales privilégiées qui conserveraient lesdites richesses.

Cette conjugaison de choix pénibles traduit une seule et même réalité : la colonisation, contrairement à ce qu’a cru le peuple, s’est métamorphosée dans une réalité plus complexe, tributaire elle aussi de domination. Il ne s’agissait pas là d’un néocolonialisme absorbant dont il est difficile de s’en défaire mais d’une réalité encore plus trouble : nous n’avons jamais été indépendants. La colonisation n’est jamais partie. Elle a seulement changé de visage et de maître. Le guinéen est devenu, après la prétendue indépendance, le côlon et la Guinée, la nouvelle colonie. Le départ forcé des Français a laissé des privilèges sans maître pour les occuper. Et puisque la nature a horreur du vide, la nouvelle élite gouvernante est devenue le nouveau visage de l’impérialisme bon marché, lequel refuse, jusqu’à ce jour, de partir.

Au fond, la Guinée d’aujourd’hui, dans son rapport à la gouvernance et à la violence, est le reflet de cette Guinée coloniale : une géographie à l’état de nature où les gens ont été contraints de vivre côte à côte pour ne surtout pas vivre ensemble.

L’imaginaire contemporain du guinéen est corrompu par une représentation du monde qui vient d’un ailleurs violent et brutal qu’il a  apprivoisé.  Il ne sait dès lors plus rien dire, plus rien faire qui ne soit empreint de violence. La brutalité des envahisseurs envers nos parents a suscité une forme de mécanisme inversé de la brutalité, celle de nos parents envers eux-mêmes. 

Évoquer donc l’arbitraire de l’Etat en Guinée, c’est d’abord prendre la mesure de la dépendance idéologique du guinéen. La colonisation a certes formellement disparu mais ses héritages substantiels sont restés. L’ensauvagement ontologique du guinéen sous l’empire du pouvoir colonial a laissé des séquelles psychologiques profondes qui demeurent encore aujourd’hui.

La violence du politique trouve donc sa résonance et peut être aussi sa source dans la violence domestique, banalisée par le peuple. Il faut savoir que les dirigeants d’aujourd’hui ont été les enfants d’hier. Leur imaginaire d’homme est toujours le résultat de leur culture d’enfant. Si celle-ci a été faussée par un bagage empreint de brutalité et de violence, leur être social d’individu accompli sera travesti par la même réalité. 

En Guinée, tout se transmet par et dans la violence. L’éducation de l’enfant est assurée par le fouet et l’humiliation, l’instruction par le bâton et les injures. Cette accumulation d’animosité et de fureur contenu dès l’enfance explose toujours pendant l’âge adulte.

Les forces de l’ordre sont seulement des guinéens qui reproduisent à leur échelle ce que les autres guinéens pratiquent au quotidien. La différence étant qu’ils disposent légalement d’instruments de maintien d’ordre qui ne sont pas  à la disposition des autres. D’où la différence de degré dans le recours à la violence. 

Les élites gouvernantes, du premier régime à celui sous l’empire duquel le peuple agonise à l’instant, sont du même acabit. Le trait d’union étant l’excès et la brutalité. 

Le camp boiro, Janvier-février 2007, le 28 septembre 2009, la répression des manifestations politiques de 2010 à nos jours expriment une et même réalité : la violence politique en Guinée n’est pas le résultat uniquement d’un ciblage politique en vue d’ostraciser une certaine opposition ; elle est le fruit d’un comportement de masse qui tire ses racines dans l’imaginaire colonial, lequel nous habite encore aujourd’hui après 65 ans d’indépendance. Le changement de régime n’arrangera rien si nous ne prenons pas conscience collectivement du démon qui est en nous et de travailler à le rendre inopérant.

           La reconquête de notre indépendance reste un défi idéologique

La Guinée est condamnée à terme si on n’inverse pas la tendance au plus vite. Les gens n’imaginent pas l’étendue de la déliquescence de notre société. 

Tout est foutu. L’administration, l’école, l’éducation, la justice, la société civile, les médias, l’armée. Tous les corps de l’Etat agonisent. Pas un seul ne se montre à la hauteur. 

Mamadi Doumbouya et son gouvernement n’en sont pour rien. Ils ont hérité de cet imbroglio et veulent le résoudre en vain. Et pour boucler la boucle, ils ne pourront rien y faire en dépit des efforts déployés. Alpha Condé s’y est essayé ; nous avons vu le résultat. 

Le problème ne sera pas non plus résolu par un parti politique, en tous les cas, pas ceux qui aspirent à gouverner aujourd’hui. Ce que nous voulons dire, c’est que pour résoudre un problème, il faut d’abord l’identifier. Or en Guinée on voit davantage les conséquences et de moins en moins les causes.

Pourquoi tout périclite depuis les indépendances ? Quelles sont les raisons de l’échec de nos gouvernements successifs ? 

Après notre indépendance, deux des questions existentielles n’ont pas été posées par le régime primordial : Quelle Guinée pour l’avenir et quel modèle politique pour cet avenir commun ?

La première renvoie à la nation. Il faut savoir que la Guinée telle qu’elle existe aujourd’hui est un héritage colonial. Avant la colonisation, les territoires souverains qui constituent la Guinée d’aujourd’hui étaient subdivisés en empires, tous d’affiliation ethnique et tribale. Les colons ont mis de force ensemble des entités distinctes qui n’avaient pas vocation à cohabiter au sein d’un État unitaire. 

Une fois l’indépendance acquise et constatant l’intangibilité de nos frontières, l’idée d’une histoire collective qui cimente notre vivre ensemble n’a pas été résolue. Les ethnies qui composent notre lieu commun n’ont pas été diluées dans une nation qui les rassemble. Le sentiment d’appartenance à une patrie qui fédère les différences identitaires est resté jusqu’à ce jour inexistant. 

La seconde renvoie au choix d’un modèle politique viable. Nos pères fondateurs, après 60 ans de colonisation, n’ont pas réalisé à quel point ils étaient aliénés. La psychologie du colonisé ne pouvait guère disparaître par baguette magique. On ne peut pas en vouloir à nos grands-parents. Ce n’était pas leur faute. 60 ans de violence et d’abrutissement, de chosification et d’abêtissement laissent toujours des traces indélébiles.

Nos pères fondateurs – nés dans la colonisation – n’ont pas réussi à s’en soustraire. Ils ont imité le modèle politique et économique du colonisateur, singé ses instruments de torture et perpétué ses méthodes de violence. 

La seule issue qui nous reste, c’est créer un nouvel État sur des bases saines. Réinterroger notre identité, construire une philosophie qui cimente notre vivre ensemble et bâtir une société nouvelle qui s’inspire des acquis du monde occidental mais qui ne les copie pas. 

La France coloniale, c’est-à-dire l’ombre qui nous suit depuis toujours, doit sortir de la République. C’est une condition pour notre survie. L’imaginaire occidental qui oriente nos choix stratégiques doit être abandonné ou tempéré en vue d’expérimenter quelque chose de nouveau, de radical et de différent. Nous avons besoin de liberté absolue pour penser les métaphores de notre futur, et cela passe par l’ humanisation de nos espaces de pouvoir.

Cette responsabilité incombe à notre génération. Nous n’avons ni connu la colonisation, ni non plus la période des indépendances. Nous n’étions pas encore nés. L’histoire nous laisse donc la chance de rectifier le tir. Nous le devons à la postérité.