À force de changer constamment d’avis et de ne pas respecter ses engagements, on finit par se retrouver piégé dans un cercle vicieux difficile à briser. Car même si l’on s’engageait à être désormais fidèle à une ligne de conduite spécifique et à tenir nos promesses, nos interlocuteurs ne pourront s’empêcher de se concentrer sur notre passé de revirements opportunistes et d’indécisions. 

Mouctar Diallo, puisque ceci est bien une façon détournée de parler de lui, n’a pas su assumer ses ambitions de succéder à Cellou Dalein Diallo (CDD) à la tête de l’UFDG, pas plus qu’il n’a osé aller affronter les luttes politiques et les adversités qui résultent d’un tel projet. Il a donc choisi le chemin facile pendant un moment crucial de la résistance populaire face au désir d’éternisation au pouvoir des caciques du régime défunt d’Alpha Condé : accompagner la mouvance présidentielle même dans ses dérives les plus folles, quitte à sacrifier tous les nobles principes qu’il essaie aujourd’hui de réitérer dans son nouveau livre.

Intitulé Mon Engagement, ledit livre décrit l’indéfectible loyauté de l’auteur envers Cellou Dalein Diallo, du moins dans les premières heures de son engagement politique, quand les deux hommes s’entendaient pour faire chemin commun au service d’une certaine vision partagée qu’ils avaient de la Guinée.

Mais leurs chemins ayant divergé, leurs visions jadis partagées devenues hostiles, Mouctar veut désormais acculer l’homme fort de l’UFDG. Il le désigne notamment comme étant celui qui aurait voulu l’effacer politiquement de ce grand parti qui leur a permis de faire leurs véritables premiers pas dans l’arène politique guinéenne. Entre coups bas et jalousie, Mouctar Diallo réitère cette longue rengaine des anciens collaborateurs politiques du champion de l’UFDG : « Il a du mal à partager sa tribune. Convaincu de sa popularité et de son aura auprès des militants, il ne partage ni pouvoir ni privilège. » 

Comme quoi, si l’on n’est pas d’accord avec Cellou, l’on se retrouve souvent contraint à dégager de l’UFDG ! Cela n’est pas sans rappeler le sort qu’on y a réservé à Bah Oury, actuel Premier ministre, ou encore à Ousmane Gaoual Diallo, désormais Ministre des transports et porte-parole du gouvernement de transition. Mais là, c’est un autre sujet… 

Dans son livre, Mouctar revient sur un épisode qu’il semble présenter comme étant un des moments phares de son divorce avec Cellou. Il s’agit d’un entretien qu’il aurait eu avec une délégation spéciale pilotée par El Hadj Alseny Dalaba Barry (l’actuel président de la Coordination des Foulbés et Haali Pular). 

Nous sommes à l’orée du deuxième tour des présidentielles de 2010. Convaincue de la victoire prochaine de CDD (donné plus tôt « premier sans deuxième » au premier tour), la délégation qui s’était donnée pour mission de persuader le président de l’UFDG sur le choix de Mouctar Diallo en tant que son successeur à la tête du parti et futur dauphin à la tête de l’Etat, donne cette glaçante réponse de Cellou Dalein Diallo qui en dit long sur le rapport que ce dernier entretiendrait avec les cadres de son parti : « D’accord, mais dites à Mouctar d’oser tout le monde, sauf moi. » 

Le lecteur est censé comprendre que, voyant Mouctar et CDD assis côte à côte, ce « vieux sage » aurait dit qu’il était rassuré quant à l’avenir de l’UFDG.  Le président de l’UFDG étant pressenti pour gagner haut les mains les élections présidentielles de 2010, le vieux lui aurait confié que le parti serait dans de bonnes et fiables mains avec Mouctar. Or Celou, pour une raison sur laquelle le livre ne s’attarde pas, n’aurait pas apprécié les remarques flatteuses du vieil homme sur le jeune Mouctar, alors très populaire. 

Mais l’auteur de Mon Engagement ne se limite pas à cette anecdote dans sa quête de se blanchir en vue de mieux revenir au devant de la scène politique guinéenne en reconstruction (ou refondation ?). En effet, il va jusqu’à jouer à l’autruche en essayant de se dédouaner de ses mauvais choix et égarements dans les derniers jours du règne de son mentor Alpha Condé. Il s’insurge notamment contre ce dernier qui, au lendemain de sa fraude constitutionnelle, aurait malencontreusement choisi de s’isoler, croyant ainsi avoir réussi son ultime épreuve de démonstration de force.

« Après notre victoire à l’élection présidentielle de 2020, j’ai constaté des comportements inquiétants chez le président Alpha Condé. Il avait changé ; il était devenu amer et semblait être allergique aux conseils. Il s’était isolé et était devenu inaccessible. Il semblait confortablement installé dans une certitude qui n’appartient qu’à Dieu seul. Cela était le signe fort d’une dérive ; et cette situation ne me rassurait plus… ».

Pour Mouctar donc, si le troisième mandat lui-même n’était pas une dérive en tant que telle, c’est la façon dont le Président Alpha Condé s’y est pris — s’isolant radicalement et peut-être arrogamment en croyant avoir irréversiblement domestiqué la scène politique guinéenne — qui était l’immodestie annonçant la fin ou la chute prochaine de son régime.

Le bouillant ex-ministre, à qui beaucoup de guinéens n’ont pas encore pardonné l’épisode de la pancarte « Abaraguè Landé », feint-il donc d’ignorer que nous l’avons déjà vu à l’œuvre ? À Bambeto, le jeune Mouctar Diallo qui avait émerveillé plus d’un au lendemain des contestations sociales et politiques de 2006-2007, semblerait désormais vouloir prospérer dans le reniement et la démagogie.

C’est donc dire que Mouctar ne peut écrire de manière convaincante ou même sincère sur l’histoire politique de la Guinée de la dernière décennie. Il ne le peut sans faire mention de son propre rôle dans le triomphe de la vision politique égocentrique d’Alpha Condé, au détriment d’une vraie démocratisation en Guinée. 

Quoi qu’il veuille nous faire croire aujourd’hui, nous savons qu’il a été l’un des principaux facilitateurs et instigateurs d’un certain “koudéisme” du président Condé. Il est de notoriété publique qu’il s’est assuré, en particulier dans les derniers jours de la présidence de ce dernier, d’embrasser et de promouvoir ses fausses promesses, parfois même ses mensonges auprès de la jeunesse guinéenne, laquelle,  désespérément, avait besoin d’opportunités et de changement.  

Ainsi, les litanies d’accusations qu’il récite à l’encontre de CDD dans Mon Engagement sonnent creuses. Et, il va sans dire qu’il y fait abstraction de son rôle de premier plan dans l’avènement, en Guinée, d’une autre période de transition politique dont la fin est de plus en plus incertaine. Quoi que CDD ait pu faire à Mouctar pour mériter reproches et accusations qui sont légion dans le livre de ce dernier, cela valait-il la peine que l’ancien ministre et explosif activiste — ou militant —  vende son âme politique en sacrifiant ses principes sur l’autel de la dictature et du prébendalisme qu’il a semblé combattre dans ses premières heures d’engagement contestataire ?

Alors que la Guinée est aux prises avec une nouvelle transition politique qui commence à décevoir après l’extase et l’euphorie des débuts, l’histoire politique personnelle de Mouctar doit servir de mise en garde contre le coût de la compromission pour des intérêts autres que ceux de la République, du peuple. 

Pour le meilleur et pour le pire, le carriérisme outrancier de Mouctar, sa trahison affichée — et longtemps assumée — de ses principes pour des postes de ministre et une certaine influence dans la Guinée d’Alpha Condé, soulève des questions sur la sincérité de son livre — et de son engagement. Nul besoin de pouvoirs de divination pour en venir à la conclusion que son objectif avec ce livre est de réussir son comeback politique. Il espère, avec l’ouvrage, se présenter comme l’un des rares politiciens guinéens intègres. Un de ceux qui accordent une grande importance à la probité personnelle ; qui sont farouchement attachés aux idéaux démocratiques.

Or, en politique comme dans la vie de tous les jours, il faut avoir le courage de s’assumer pour être digne du peu d’amour-propre et d’honneur qu’il nous reste, quand on s’est trompé de choix et de lutte. Mouctar n’a donc rien à gagner à se présenter comme une victime de Cellou Dalein.

Au demeurant, si son désir est de revenir avec force dans la course au pouvoir et à ses privilèges, s’il veut regagner la confiance d’une jeunesse qui a auparavant vu en lui la figure d’un jeune leader à suivre, il aurait plutôt intérêt à se repentir. Il devrait, en d’autres termes, se présenter comme quelqu’un qui a appris de ses errements et égarements, et qui veut, désormais, revenir vers le principe cardinal qui l’a amené à l’engagement politique : servir la République. Faute avouée, dit-on, est à moitié pardonnée.