Il y a quelques jours, une lassitude encore jamais éprouvée s’est saisie de moi, a immobilisé mes efforts et mis à rude épreuve le chaos intérieur qui m’habite, celui qui, jusque-là, me permettait de tenir debout face à ce sentiment que tous ceux qui luttent dans le silence connaissent trop bien. Ce sentiment redouté et craint, anxiogène et démotivant auquel, irrémédiablement, l’on fait face un jour ou l’autre : d’abord le mutisme des autres, puis cette indifférence absolue qui s’installe, implacable et goguenarde. Comme l’écume des vagues efface une marque sur le sable, il résulte de ce sentiment un vide cruel, lequel réduit à néant des heures de labeur acharné.

Cette lassitude s’est amplifiée en moi d’autant que, pas plus tard que vendredi dernier, j’apprenais l’arrestation du président du Mouvement Démocratique Libéral (MoDeL), Aliou Bah. Pour tout dire, à ce stade, il n’est plus d’actes posés par le CNRD dans ce registre qui ait le talent de me surprendre, l’habileté de me laisser de marbre. Seulement de la lassitude à laquelle mon impuissance de changer la donne sert de béquille. Seulement cela. 

Quand j’écrivais pour dénoncer ce silence — jamais un silence n’aura donné autant à entendre — autour de la disparition de Foniké Menguè et de Billo Bah, je savais qu’il y aurait d’autres arrestations arbitraires. Je savais que d’autres gestes répressifs viendraient rallonger de quelques perles le chapelet de forfaitures de ces hommes armés qui, le 5 septembre 2021, la bouche mielleuse mais les mains — déjà — pleines de sang, avaient promis de mettre la Guinée sur les rails de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Ce discours, bien que réchauffé, eut néanmoins une résonance différente des précédents que tinrent, entre autres, Alpha Condé — qui a traité son peuple de tortue têtue — ou Moussa Dadis Camara — qui vient d’être reconnu coupable et condamné pour le massacre du 28 septembre 2009. Et c’est précisément cette résonance, qui avait laissé une empreinte somme toute réconfortante, écrite avec l’encre de l’espoir dans le cœur du peuple de Guinée, qui rend la désillusion actuelle d’autant plus amère. Comme si, ad vitam æternam, nous étions condamnés à subir les mêmes humiliations, à gravir encore et encore cette montagne de souffrance sans jamais en atteindre le sommet. Le mythe de Sisyphe, ici, n’est plus une métaphore : il est notre réalité. 

Je suis las. Fatigué et viscéralement frustré de n’être, à moi tout seul et à mes impuissants articles, qu’une goutte d’eau, voire moins, dans cet océan d’efforts à conjuguer pour changer la situation, obtenir la libération de toutes ces personnes dont le seul crime a été d’exprimer leurs opinions ; de rappeler au CNRD et à son président aussi taiseux que méprisant les promesses qu’ils ont faites avec tant d’emphase, mais qu’ils trahissent aujourd’hui avec une constance désespérante. 

Je suis las. Ma motivation, que pusillanimité et vacillement se partagent, se situe quelque part, entre asphyxie et étouffement, lovée dans les bras du silence et de l’indifférence. Je réalise que c’est donc cela, la résignation totale : ce moment où, convaincu de tous bords que ses efforts sont condamnés à mourir avant même de prendre forme, que le sens même de leur genèse s’effiloche dans le néant, on accepte finalement qu’ils ne valent plus la peine d’être consentis.

Mais, qu’y a-t-il dans la résignation totale ? Peut-être un vide, oui, mais aussi, à y voir de près, une sorte de paix ambigüe : voyez-vous, le poids des attentes n’est plus qu’un lointain souvenir dans le cimetière de la mémoire d’une vie. Je suis en paix parce que totalement résigné. Et la paix que je ressens est ambigüe car je sais, au fond, qu’elle n’a rien d’un refuge sûr. Tout au plus une accalmie au bord d’un gouffre qui, tôt ou tard, réclamera de nouveau son dû. 

Il m’apparaît clairement qu’il ne peut et ne doit pas en être ainsi. Qu’il faudra un sursaut d’orgueil et de ce sentiment qui brûle en silence, mais qui éclaire les ténèbres les plus denses, que l’on appelle courage, pour reprendre les rênes de son destin que quelques personnes ont cru pouvoir dompter et façonner comme bon leur semblait.

En écrivant ces lignes, je me rends compte que si je le fais, c’est parce que gênée et mal à l’aise dans ma confortable résignation, ma conscience me hurle dessus et ne me laisse aucun répit. Elle me dit qu’elle ne veut pas être complice de cette trahison envers ce que je sais être juste. Elle m’apostrophe dans mon sommeil et me demande de me mettre à la place du fils de Foniké Menguè ; d’imaginer ce que doivent vivre Billo Bah et Habib Marouane ; de penser à leurs familles, à leurs proches. Elle me démontre que je ne peux être indifférent ; que je suis concerné parce que l’injustice, lorsqu’elle frappe un seul, menace tous les autres.

Je ne suis pas dupe et ne me fais pas d’illusions : cet article n’atteindra peut-être pas un grand nombre. Cependant, je l’écris parce que c’est ce que je peux faire de mieux, ici et maintenant. Et Dieu sait que le monde irait mieux si chacun, à sa manière, faisait ce qu’il peut face à l’injustice. 

J’aurais pu m’attarder sur les campagnes, la propagande autour d’une éventuelle candidature du silencieux Général Mamadi Doumbouya. Mais ce n’est pas mon propos aujourd’hui. Je préfère, ici et maintenant, vous livrer la teneur de ma lassitude : il y a tant à dire sur ce sujet et mes grands-frères, Tamba François Koundouno, Ali Camara et Alpha Saliou Diakité, le font déjà si bien dans ce magazine. 

Je suis las : c’est la troisième fois que je le mentionne. Et me voilà qui termine tout de même un article. Face à l’injustice et à l’indifférence, même ma lassitude s’avère impuissante à m’empêcher d’écrire. Alors j’ai écrit. Et j’écrirai encore.