“Il règne en ce moment à Conakry une atmosphère de terreur où personne ne sait où il finira la nuit : dans une tombe, dans une cellule de prison ou dans le mystère de la volatilisation ?”, s’insurgeait dans une récente tribune l’écrivain guinéen Tierno Monénembo. Certains doutaient encore de la véracité de cette peinture atroce et effarante que fait depuis un certain temps Monénembo de l’univers concentrationnaire que devient la vie en Guinée sous le magistère du Général Mamadi DOUMBOUYA. 

Comme si le meurtre du Général Sadiba Koulibaly n’était qu’un petit règlement de comptes interne qui ne dit pas grand-chose de ce que veut vraiment le CNRD ; comme si la multiplication d’arrestations arbitraires n’avait en fait rien de monstrueux ; comme si Foniké Menguè et Bilo Bah, n’ayant jamais vraiment rien incarné de sérieux et de républicain, sont liquidables à souhait ; comme si ce viol de la République en cours n’a de réalité que dans les fantasmes républicains des pourfendeurs supposément frustrés et aigris du conquérant CNRD et de son sublissime général. 

Hier encore, d’aucuns s’amusaient à voir dans l’indignation républicaine d’Aliou Bah, président du Mouvement Démocratique Libéral (MoDeL), l’expression de cette surenchère politicienne qui ne veut et ne vit que de la mise en spectacle permanente de soi et la diabolisation à outrance, et souvent très erronée, du camp d’en face. Mais avec la confirmation de son arrestation musclée et intimidante, le but du gouvernement est désormais sans équivoque : terroriser tous ceux qui pensent encore qu’on a le droit de s’exprimer librement sur la marche de notre nation et de demander des comptes aux pouvoirs publics. 

Qui croire dorénavant dans cette danse guinéo-guinéenne des indexations accusatoires de ce qu’il reste encore de nos forces vives de la République et des démentis énergiques du gouvernement ? Croire les critiques du CNRD qui peignent la réalité horripilante d’une danse macabre de conservation du pouvoir à tout prix, réalité de plus en plus confirmée par les faits que ne peut étouffer la machine de propagande la plus efficace ; ou les communiqués soviétiques d’un gouvernement dont le seul argument est que ce qui se passe sous nos yeux n’a en fait lieu que dans les rêves des soi-disant ennemis de la Guinée ? Que penser, au fond, de cette autre arrestation arbitraire que le gouvernement voudra certainement noyer en l’attribuant à une petite incompréhension, ou en la mettant au compte de malfrats ou d’inconnus qui n’auraient rien à voir avec les autorités de notre très chère transition ?

Que l’on s’entende bien : notre propos ici n’est pas de répondre à la place de tous les Guinéens ; d’imposer notre lecture de notre malheur national. Comme on l’a fait depuis la création de ce site, qui se veut une plateforme d’analyse objective et de bonne foi dans nos positionnements et contre-positionnements sur et pour la Guinée, nous voulons simplement mettre les choses dans leur contexte, raconter le réel tel quel, mettre des mots sur ces plaies béantes que le CNRD était censé cicatriser mais que son pansement, inapproprié, a contaminées davantage et rendues puantes. Et après, il reviendra à chacun, devant la barre de sa raison et de sa conscience, de déterminer si l’arrestation du président du MoDel doit être la goutte d’eau qui devrait faire déborder le vase d’un gouvernement qui se croit tout permis. 

Pour notre part, nous estimons que l’arrestation d’Aliou Bah est choquante, indigne et profondément révoltante. Dans sa détermination à faire la chasse aux sorcières, supposées ou réelles, le CNRD a poussé le bouchon trop loin et a franchi un cap supplémentaire dans sa dérive autoritaire et dictatoriale. En Guinée, désormais, toutes les formes de libertés sont étouffées. La parole est emprisonnée et le pays s’est dangereusement métamorphosé en un cimetière des droits humains. Le fait, donc, est que nos militaires au pouvoir ont horreur de la moindre contradiction, de la moindre audace citoyenne. Eux, les forces spéciales censées protéger les citoyens, sont les premiers à les terroriser. Eux, censés incarner la quiétude, sèment la terreur.

L’arrestation d’Aliou Bah est plus qu’une provocation, c’est une honte pour toute la clique gravitant autour du Président Mamadi Doumbouya ; un déshonneur pour le pays qui entre dans une phase critique de son histoire. Notre pays devient graduellement un tombeau ouvert. Après la fermeture des médias, l’enlèvement d’Oumar Sylla alias Foniké Menguè et son compagnon Billo Bah et tout récemment du journaliste Habib Marouane Camara, le CNRD montre de plus en plus sa fébrilité et son appétit de régner sans partage. 

Son autorité, semble-t-il, est plus que jamais menacée. Or ayant pris goût au pouvoir, notre junte refondatrice qui voulait faire de la justice la boussole de sa transition, veut désormais s’éterniser au pouvoir. Et puisque cela demande de régner par la terreur, nos refondateurs se font désormais passer pour des dieux qui ont un droit de vie et de mort sur tous les Guinéens. Et le peuple guinéen, tel cet enfant martyrisé que des années d’abus et de maltraitance ont rendu indifférent à son propre sort et incapable de s’imaginer la possibilité d’une autre vie par-delà l’enfer de son passé et la tourmente de son présent, observe passivement et docilement sa vie se passer devant lui, sans lui. Comme cet enfant qui manque de courage pour saisir son destin, nous avons choisi l’optimisme béat et naïf ; nous nous sommes emmurés dans l’attente d’un miracle à advenir d’un homme providentiel qui ne reproduirait pas les fautes du passé. 

Or en l’espace de trois ans, cet homme providentiel et son entourage ont tué tout espoir dans la jeunesse et transformé de braves citoyens en gueux. Ils veulent nous faire revivre les années sombres de l’histoire politique de la Guinée. Ils nous imposent un parti unique : le CRND. Il est donc plus que jamais urgent de se mobiliser pour arrêter cette dérive qui fait honte à notre désir de refonder véritablement notre pays sur les cendres de six décennies d’échecs politiques et de servitude volontaire.

Dans les seules conversations sincères entre Guinéens, celles qui se passent dans l’intimité d’amitiés consolidées par des péripéties communes, l’on se dit que notre pays, qui n’a que trop souffert des méthodes soviétiques infamantes, mérite mieux qu’une transition dont la gestion semble pire que celle du pouvoir qu’elle a éjecté. Le pays, se dit-on à longueur d’indignations silencieuses et non assumées, est dirigé par une main de fer et une machine de propagande à broyer les forces politiques et les citoyens encore attachés à une certaine idée de la nation et du patriotisme.

Entre nous donc, on envisage souvent, quoique timidement, la possibilité d’un changement de cap. On se convainc qu’il ne faut pas complètement désespérer du Guinéen qui peut, lorsqu’il s’estime bafoué dans le plus profond de son être et de son honneur, donc quand il est mis devant l’évidence de la nécessité de s’indigner, peut, pour reprendre Victor Hugo, “affronter la puissance injuste”, “prendre corps à corps le destin” et “étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait”. 

Dès lors, la vraie question que pose cette descente en enfer que nous connaissons aujourd’hui est celle de déterminer si cette arrestation de trop entraînera l’opposition ferme et résolue qui s’impose dans un tel contexte de confiscation du pouvoir national et de notre destin collectif. Autrement dit, que faut-il, finalement, pour faire naître ce sentiment général de lassitude et de ras-le-bol, cette indignation collective qui n’a fait que trop manqué dans le paysage politique et intellectuel guinéen ? Comment faire triompher cet impératif d’indignation citoyenne en face de forces spéciales armées jusqu’aux dents, qui n’hésiteront pas à “ramener à son seigneur” toute personne qui osera hausser le ton contre cette dérive dictatoriale qui méprise l’idéal de faire-nation et vilipende à souhait nos ressources pour acheter le silence et les consciences de nos compatriotes pour qui le confort matériel du je prime sur les sacrifices qu’exige le nous ? On peut déjà commencer par exiger la libération immédiate et inconditionnelle d’Aliou Bah et des leaders du FNDC, par rappeler à qui de droit que la Guinée n’est pas une propriété privée de Mamadi Doumbouya et sa bande de parvenus sans scrupules.