Les chefs des principaux partis politiques guinéens ont appelé samedi 4 décembre sur les réseaux sociaux, à suivre et répondre l’appel à manifester des « forces vives de Guinée » ce lundi 6 décembre 2025 à Conakry. Faut-il rappeler que ces « forces vives » sont nées de l’association des oppositions, notamment l’UFDG et ses alliés, le RPG et ses alliés, ainsi que le FNDC, officiellement dissous par le ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation.
Ils sortent du bois
Dans un post Facebook, Cellou Dalein Diallo a notamment invité « les militants et sympathisants de l’UFDG et de l’ANAD ainsi que tous les Guinéens épris de justice et de liberté à répondre, avec la plus grande combativité, au mot d’ordre de manifestation […] Je compte sur la détermination de tous pour conférer à cette manifestation […] le succès qu’elle mérite ». Le problème de cette publication réside dans son dernier paragraphe ; il trahit le vocabulaire de l’ancien Premier ministre. « Conférer à » suppose un événement heureux. Or en l’espèce, il s’agit d’une manifestation politique et non d’une activité culturelle ou festive. Il n’est donc pas question d’un événement heureux. Mais pour ne pas que l’attention aux détails et l’exigence de précision dont il est question ici soient confondues à du snobisme ou à une certaine coquetterie de l’esprit, concédons que ledit post a peut-être été écrit et publié dans la précipitation. Même là, le vrai problème de ce post se trouve ailleurs et il est commun à l’ensemble des principaux chefs de partis politiques guinéens.
Cinq heures après l’annonce de Cellou Dalein, Alpha Condé a posté une vidéo de 4 minutes et 29 secondes dans laquelle il s’est exprimé pendant 33 secondes pour laisser place à la musique de Bembeya Jazz National « Armée guinéenne ». Les propos du Président de la République déchu sont attentatoires à la sûreté de l’État. Il appelle directement l’armée à mener un coup d’État en se mettant aux côtés du peuple pour se débarrasser des narcotrafiquants, une allusion faite à Mamadi Doumbouya et à son équipe. Alpha Condé s’est présenté sur la vidéo comme « Chef suprême des Armées ». Légalement, il peut toujours revendiquer ce titre étant donné qu’il a été élu. Mais factuellement et techniquement, il ne l’incarne plus et n’exerce plus en qualité de Chef de l’État. Car le coup d’État perpétré contre lui le 5 septembre 2021 est déjà consommé. Dans la même vidéo, Alpha Condé appelle aussi à répondre au mot d’ordre de manifestation des forces vives.
Quant à Sidya Touré, il a demandé, comme le rapporte le site d’informations Guineematin, à respecter l’appel à manifester. « Aujourd’hui, nous sommes dans une position où la confiance est rompue. C’est pourquoi nous avons demandé une manifestation pacifique le 6 janvier. Nous n’avons pas appelé à jeter des pierres, mais simplement à ce que ceux qui ne sont pas d’accord puissent s’arrêter devant chez eux pour exprimer leur mécontentement », a dit le chef du parti UFR. Ces propos sont teintés de frilosité car la précision sur les pierres rappelle les accusations de violences contre les militants de l’UFDG qui, à chaque manifestation, lanceraient des pierres contre les forces de l’ordre. Chose qui participerait aux drames enregistrés pendant les manifestations politiques en Guinée. Monsieur Touré se dédouane déjà d’éventuelles bavures que la manifestation du 6 janvier pourrait engendrer.
L’effet halo
Ces appels triomphaux à manifester masquent mal l’absence de véritable projet politique pour l’avenir de la Guinée. Ceux qui ont échoué à gouverner le pays et à se mettre au service de son développement, se découvrent curieusement des convictions partagées. On peut clairement constater une hypocrisie dans cette nouvelle forme de s’opposer et cela dessert sensiblement le combat qu’ils mènent : faire partir les militaires du pouvoir par la rue.
Le FNDC quant à lui, est cohérent avec et dans son combat. Le courage de ses membres à Conakry comme à l’étranger est à souligner. On peut en même temps glaner des reproches au mouvement par rapport à certaines prises de position par le passé et reconnaître l’importance de son combat. Il incarne l’exception au sein des forces vives.
Les jeunes gardent un souvenir amer de la démission spectaculaire des chefs de partis du champ politique et de leur exil voulu et doré. Les jeunes se souviennent du refus d’Alpha Condé de céder le pouvoir et de renoncer à la modification constitutionnelle et donc à briguer un fatal 3e mandat. C’est lui qui a créé les forces spéciales et désarmé les autres unités de l’armée. C’est lui qui a fait recruter Mamadi Doumbouya, l’envoyant de la France pour lui confier la direction de la crème de la crème de l’armée guinéenne. Le malheur que les Guinéens traversent actuellement est inévitablement le résultat de sa politique pendant 11 ans à la tête de l’État et des décisions qu’il a prises. Il est l’alpha et l’oméga du drame guinéen de ces dernières années. Il a eu l’occasion de nous faire rêver mais il a rendu plus sombres nos nuits, déjà sans étoiles et souvent sans électricité.
Cellou Dalein et Sidya Touré ont célébré et salué le coup d’État du 5 septembre et le reconnaissent. C’est un fait. La majorité des Guinéens a partagé la même euphorie.
Il y a sept mois, en juin 2024, Cellou Dalein annonçait sa décision de rentrer en Guinée. Cela a suscité une vague d’espoir. Mais la montagne a fini par accoucher d’une souris. Aujourd’hui, à en croire les communiqués de l’UFDG et les incessantes sorties médiatiques de son leader, il n’est plus question d’une quelconque rentrée d’exil de ce dernier. En tout cas pas avant de s’être rassuré qu’il ne sera pas inquiété par les autorités de transition. Pourtant, le courage en politique implique de se retrousser les manches pour aller au combat. Et le combat se déroule en Guinée, à Conakry aux côtés des Guinéens appelés à manifester.
Il y a donc quelque part un concours d’incohérence, d’opportunisme patent. Et c’est bien cela qui a fécondé la défiance envers la parole politique. La seule solution qui s’offre aux chefs de partis est de rentrer en Guinée. Au fond, ils ne sont l’objet d’aucune menace d’arrestation. Par ailleurs, la réussite de toutes les manifestations qu’ils projetteront exigera un leader ; cela s’appelle de l’incarnation. Il faut quelqu’un à qui tout le monde peut s’identifier et en qui se reconnaitre. Il faut, pour le dire simplement, quelqu’un qui jouera véritablement le rôle de meneur.
Depuis la chute d’Alpha Condé, les politiques guinéens ont montré leur incapacité à répondre aux défis qui se posent au pays et à faire face au régime de transition. Le seul homme politique cohérent, n’en déplaise à certains de nos compatriotes, est Aliou Bah, actuellement dans les geôles de l’injustice. Tous les autres devraient suivre son exemple.
Oser le renouvellement
La disparition de Foniké Menguè et Billo Bah ou encore l’enlèvement du journaliste Habib Marouane Camara, sans oublier la tuerie lâche de Mofa Sory dont le crime a été de prédire des lendemains qui déchantent au CNRD, aucun de ces événements n’a précipité un déferlement des politiques à Conakry. Le message est clair : Mamadi Doumbouya peut régner et les autres pourront crier mais ne gouverneront pas, du moins, tant qu’ils n’auront pas changé de méthode et de stratégie.
Le vocabulaire des chefs de partis n’a pas changé en 15 ans. Les pleurniches n’ont pas pris de rides. C’est un cycle permanent de retour en enfer et une absence de renouvellement de la pensée et de la philosophie politique.
Les jeunes ont fui le pays par désespoir. Nicaragua et d’autres destinations notamment européennes montrent un exode massif des Guinéens. Les manifestations d’hier ne seront plus celles d’aujourd’hui. La lassitude a gagné les cœurs et la perte de repères a créé la résignation. Une résignation de circonstance. L’inexistence des médias et la militarisation du pays ne feront prospérer aucun mouvement de contestation. La solution pour nos politiques auto-exilés, c’est de rentrer car le Général Doumbouya a annoncé dans son discours de Nouvel An, la reprise effective des activités politiques en 2025.
Pour que triomphe la démocratie
Au lieu de se liguer contre Mamadi Doumbouya, fabriqué quelque part par certains membres des forces vives, il faut se renouveler, seule voie pour gagner la bataille de l’opinion et peut-être, demain, des urnes. Faut-il manifester ? Absolument ! Mais cela doit s’accompagner d’un minimum de cohérence et de courage, deux éléments qui ont pris congé de la politique guinéenne.
Le Président de la transition Mamadi Doumbouya doit nécessairement calmer le jeu et faire des gestes forts en libérant tous les détenus politiques et d’opinion et en annonçant clairement ses intentions sans passer par une habile propagande. Le redoutable sophisme qui consiste à croire que « si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi » ne devrait pas habiter le général. Il faut créer les conditions du contradictoire et accepter que la démocratie exige, par définition, la libre expression des courants politique et d’opinion.
Aucun citoyen ne devrait être inquiété pour ses opinions, ses prises de position, ses critiques. Un Chef d’État doit être Platon, c’est-à-dire, avoir le dos très large. Les deux mandats d’Alpha Condé sont d’ailleurs un bel exemple de liberté de la presse, obtenue de haute lutte. Cet héritage doit être conservé. Les émissions politiques avaient des records d’audience. Les Guinéens se languissent de ces moments.