L’avant-projet de la nouvelle constitution, un des projets phares de la refondation promise par la transition guinéenne, est désormais disponible depuis bientôt six mois. Un document de 47 pages composé de 205 articles et présenté officiellement en juillet dernier, ce projet semble de toute évidence être le premier d’une telle envergure dans l’histoire politique de la Guinée

Il entend, du moins sur les prémices seulement, acter une certaine idée de la révolution. Mais faire une révolution suppose de l’ingéniosité, de ne rien laisser au hasard. La symbolique étant l’alpha et l’oméga de la projection faussement stratégique dont nos refondateurs ont le secret, il n’y a dans ce fameux, prétendument insolite projet de constitution de disruption visible que dans la forme. D’où son extraordinaire longueur: Car ici, la refondation est aussi – et surtout – dans la volumétrie.  Il fallait, comme on dit, que les esprits fussent marqués. Chaque détail, pour la validité de la comparaison, doit ainsi compter. 

Ainsi donc, Dansa Kourouma et ses collaborateurs du Conseil national de la transition (CNT) n’ont pas été pingres sur le résultat que requiert toute projection qui peine à dessiner les contours de ce vers quoi l’on entend se projeter. Tout doit simplement être fastueux, à l’image de la grandeur du Général bien aimé, commandeur du projet en question. N’est-ce pas là, d’un point de vue empirique tout au moins, le marqueur différenciant ?

La réponse est sans équivoque : La première République, semble-t-il, n’avait pas beaucoup d’ambition. Sa constitution du 10 novembre 1958 faisait à peine 10 pages et comptait 53 articles. Le constituant originaire manquait d’inspiration. Les génies d’aujourd’hui dont le crédo est de créer des « institutions qui résistent au temps et à la tentation des hommes », un peu comme l’enfer et le paradis, n’étaient hélas pas encore nés. Pour eux, la première République s’est effondrée parce qu’elle n’a pas pu bénéficier de leur expertise.   

La gourmandise des nouvelles Républiques

La deuxième République était un peu plus prolixe. Sa loi fondamentale du 23 décembre 1990 faisait 25 pages et comptait 96 articles. La logorrhée en valait le coup. Les militaires sont innovants, du moins dans la forme. Ils avaient, paraît-il, beaucoup à dire. Notre démocratie naissante méritait le plus beau texte qu’on pouvait lui offrir. Décidément et comme ce fut le cas pour les premiers, ceux-là aussi avaient commis une ribambelle de manquements. Le colonel – enfin le Général – a raison : « il ne faut [surtout] pas commettre les erreurs du passé ». 

La Constitution du 07 mai 2010, instituant la troisième République, faisait 35 pages et comptait 162 articles. Une tradition semble se construire : la gourmandise des nouvelles Républiques toujours avides de textes peu normatifs n’est plus à démontrer. Un procès virulent a été intenté contre cette dernière au motif de son illégitimité. Le Général et son Conseil n’en partagent guère le contenu. 

La Quatrième République, sans doute la plus éphémère de notre histoire, a été fécondée par la constitution du 22 mars 2020. Elle faisait 34 pages et comptait 156 articles. Son artisan était un despote en fin de vie dont l’ambition, empreinte de démesure, se résumait à cette tentation enivrante : succomber au pouvoir

Le Colonel et patron des Forces Spéciales, apparemment, ne pouvait tolérer cette trahison. Assumant « sa responsabilité devant l’histoire », il se devait, ainsi que l’ont déclaré les patriotes à deux balles, d’aller à la mort pour « sauver la patrie » et donc procéder, comme il le dit lui-même, à « la refondation » de la Guinée. 

Sur le catafalque d’où résonnait la voix des morts du 5 septembre, le désormais président et Homme fort de Guinée, pour marquer l’entrée inaugurale dans l’inconnu, proposait alors l’inédit : « Nous allons faire une constitution qui nous ressemble et qui nous rassemble ». 

L’objectif est osé et peut-être même démesuré pour des militaires. Car s’il y a une chose dont le seul recours à la force est incapable de féconder, c’est l’innovation philosophique, le génie paradigmatique. 

Refonder, c’est surtout oser l’inédit

Évincer un régime politique constitué dans un pré carré semblable au nôtre, où les pouvoirs tombent comme des cacahuètes, est facile. Cela ne demande qu’un peu de courage, une équipe prête à mourir et surtout des armes. 

Ecrire cependant une Constitution qui prendrait en compte la dimension anthropologique de la Guinée requiert beaucoup d’ingéniosité. Il ne s’agit pas là de paraphraser des métaphores importées qui font des lois fondamentales africaines des sœurs jumelles. Il s’agit surtout de planter les racines de l’inédit ; de chercher dans le clair-obscur de notre histoire, le moyen d’une organisation politique et sociale propre. 

Car comme le rappelle fort bien Dominique Rousseau, une constitution, c’est avant tout « un acte fondateur par lequel une société se constitue une identité et décide de l’ordre sociétal voulu ». C’est un peu « l’équivalent de la carte d’identité pour une personne ». Or cette identité n’est pas le fruit d’un hasard mécanique que n’importe qui, par des croisements philosophiques de petite facture et des juxtapositions légistiques loquaces, pourrait inventer. De même, la détermination de l’ordre sociétal demande une connaissance profonde de la société, de son rapport au politique, de sa relation avec l’histoire, de son lien avec le droit ainsi que de sa conception du pouvoir. 

L’avant-projet de la loi fondamentale, tel que décliné dans le texte constitutionnel, dans l’épilogue commenté du Rapporteur de la commission des lois du CNT et dans le discours de son président, ne correspond en aucune manière aux intentions initiales du lieutenant-colonel devenu Général. Plutôt que de poser les bases de la refondation de l’Etat sous l’empire d’une vulgate propre et inaugurale, il a été construit sur un imaginaire importé qui pose les racines de sa délégitimation. 

Sur la plupart des aspects qui en façonnent l’identité, l’avant-projet de constitution est le résultat d’un plagiat grotesque (1) . Caractérisé par une inutile inflation institutionnelle (2), ses failles exigent qu’il soit revu et dépassé (3). Cependant, pour respecter la logique d’une trilogie autonome, nous faisons le choix de n’aborder dans cet article que les questions relatives au mimétisme du système français. Les autres points seront abordés dans des articles ultérieurs. 

1 – Une formidable machine à plagiat

Le désir du renouveau démocratique, à défaut d’idées novatrices susceptibles d’en donner une manifestation vivante, s’est enlisé dans une médiocre reproduction philosophique et institutionnelle du système français. 

L’avant-projet de la nouvelle constitution n’a donc rien de novateur. Les conseillers de la transition en charge de sa rédaction ont pris trois longues années pour nous offrir un texte bricolé qui n’a d’innovant que le racolage habile qui en fait une œuvre bavarde, un texte gazeux, insuffisamment normatif et donc peu enclin à produire des conséquences juridiques véritables. 

Ses auteurs, s’illustrant par une inculture philosophique et un illettrisme littéraire perceptibles dans leur production, sont coupables d’une double fraude : l’imposture juridique et le banditisme constitutionnel. Le tout saupoudré par un raquetage de l’Etat, lequel est obligé de rémunérer les efforts qui ont conduit à l’invention de cette farce grotesque que n’importe qui, avec une maîtrise minimum de Chatgpt, pourrait féconder.

Tout le discours pompeux et enjôleur qui fait de cette œuvre plagiée la révolution du siècle ne repose que sur du sable mouvant. C’est une mascarade, comme on en a connu par le passé, dont l’objectif est de donner au CNRD un capital de crédibilité qui ne lui sied point. L’idée pour les rédacteurs de cet avant-projet consiste à légitimer l’entourloupe, à maquiller la fraude sous une teinte révolutionnaire. La seule innovation de ce texte – et là encore il faut être mesuré – c’est la faconde excessive, l’insuffisance normative, la mollesse de son contenu et peut être enfin, la ridicule hypertrophie institutionnelle. 

Tout le reste (ce qu’on pourrait appeler le fondamental constitutionnel), des principes républicains à la déclinaison des pouvoirs, est le résultat de choses déjà vues, découlant de métaphores importées, mainte fois expérimentées chez nous, sans réelles conséquences positives, sans impact social considérable.    

a – De nos principes républicains : un copier-coller complètement  désincarné

La Guinée « est une République Unitaire, démocratique, indivisible et Sociale ». Cette disposition de l’article 1er de notre avant-projet de constitution est la plus importante de l’ensemble du corps constitutionnel. Son emplacement, c’est-à-dire au tout début du corpus, est le marqueur incontestable de sa primauté. Insusceptible de révision constitutionnelle (art 199), se hissant au sommet du pacte social, elle crédibilise et renforce l’argument d’une « structure hiérarchique à l’intérieur de la constitution » et pourrait être regardée, manifestement, comme une « constitution de la constitution ». Puisque toute l’architecture constitutionnelle tire son fondement à partir d’elle.

Or, dans sa déclinaison actuelle, cette disposition vient tout droit de l’article 1er de la Constitution française du 04 octobre 1958 : « la France est une République indivisible, démocratique et sociale ». 

Nos ingénieux rédacteurs, à l’image de leurs prédécesseurs, s’illustrant à chaque fois par une idiote nonchalance, n’ont pas eu besoin de faire travailler leur matière grise.  Michel Debré et ses amis énarques, sous le directoire du Général de Gaulle, avaient d’ores et déjà posé les fondations. Il ne restait donc qu’à accomplir l’effort, minuscule et symbolique du fameux « copier-coller ». Même là aussi les amis de Dansa sont moins prompts à accomplir correctement leur travail. En mimant les autres, fallait-il, pour se démarquer de la France, qu’ils ajoutassent le caractère « unitaire » aux principes fécondés, en vue de minimiser probablement la teneur du plagiat qu’on pourrait leur reprocher. Sur ce coup également, la différence recherchée est davantage dans le style que dans la téléologie. Car en France, les deux principes d’Unité et d’indivisibilité sont apparus de manière concomitante dans la constitution du 3 septembre 1791 et sont restés soudés jusqu’en 1848. 

La séparation de l’unité et de l’indivisibilité date en réalité de 1946. En effet, à partir de la IVe République, les deux notions, quand bien même institutionnalisées, empruntent des trajectoires différentes. L’unité se retrouve au titre X tandis que l’indivisibilité maintient son emplacement initial. La rupture s’opère, véritablement, dans la constitution de la 5ème République, celle-ci demeurant silencieuse sur les exigences incontournables d’Unité républicaine. 

La doctrine constitutionnelle, dans sa majorité, a salué ce silence, considérant, pour reprendre Roland. Debbasch, que « L’indivisibilité est l’essence même de l’unité, le signe de son effectivité et de sa durée. Le caractère indivisible de la République est la garantie du maintien et de la permanence de son unité, la projection de cette dernière dans l’avenir ». En conséquence, le principe « unitaire » est, à lui seul, insusceptible de fonder une distinction solide entre les dispositions des articles 1er des deux constitutions. Car comme l’ont rappelé B. Mathieu et M. Verpeaux dans La République en droit Français, l’unité et l’indivisibilité partagent une substance univoque. Il apparaît dès lors inconséquent de consacrer deux principes qui renvoient à une et même réalité. Le choix exclusif du principe d’indivisibilité en lieu et place du principe d’unité n’est en rien sacrificatoire. Car le premier, dans l’esprit du constituant originaire, inclut incontestablement le second.

N’eut été en définitive l’inculture des rédacteurs de notre avant-projet constitutionnel, la Guinée ne pourrait partager avec la France des principes fondateurs communs, formulés de manière complètement identique, sous la bannière d’une disposition partageant le même emplacement dans le pacte républicain. D’autant que chaque principe ici soulevé est tributaire d’une parcelle de l’histoire de la révolution française et n’a absolument aucune résonance avec notre passé. 

S’agissant de la république, sa mention n’est pas fortuite dans les constitutions post révolutionnaires en hexagone. Elle symbolise, selon Maurice Agulhon, le rejet du pouvoir monarchique et s’appréhende comme un « pouvoir non personnel, non viager, non héréditaire, non arbitrairement défini ». Dans l’imaginaire des intellectuels français héritiers de la pensée platonicienne, aristotélicienne et rousseauiste, La République est avant tout un état d’esprit, le sens du bien commun, de l’intérêt général. Elle est présente dans la constitution pour rappeler la fidélité à l’héritage révolutionnaire.

En Guinée, la République est une notion désincarnée ; œuvre des constitutions successives, construite par pure mimétisme, elle semble n’avoir ni histoire, ni mémoire. Par cette double négation, elle demeure suspendue dans l’air du temps, fragile et vouée à une mort certaine, tant que nous ne l’ensemençons pas de nos héritages multiples. 

Dès sa naissance en France avec le décret du 22 septembre 1792 portant abolition de la monarchie, la République est immédiatement associée aux États Unis. La crainte d’un morcellement du pays émerge. La Convention prend alors le soin d’affirmer l’unité et l’indivisibilité de la France pour exprimer avant tout le rejet du fédéralisme. C’est donc dans un contexte historique particulier que ces deux principes – désormais contenus dans un seul – ont été forgés en vue de marquer l’identité politique de la République naissante.  

L’indivisibilité donc, pour parler des deux principes en un, renvoie à une double unité : l’unité du pouvoir normatif et l’unité du pouvoir politique, lesquels reposent sur l’unicité de la souveraineté. 

On pourrait aussi parler du principe Républicain de laïcité, épiloguer sur « la Terreur », développer les subtilités de la loi de 1905, tout en mettant un accent particulier sur l’exception du régime concordataire…pour démontrer de long en large que sur ce postulat également, la Guinée s’illustre, comme elle l’a fait sous l’empire des précédentes constitutions, par une singerie béate, une vision plagiaire de son rapport au monde et de sa projection dans l’avenir. 

Les principes d’une république démocratique et sociale ne restent pas en marge du procès que nous faisons aux rédacteurs de l’avant-projet constitutionnel pour avoir sacrifié l’impératif d’innovation sous l’autel de la paresse. Car ces deux principes aussi  partagent, dans la tradition politique française, un ancrage commun qui a été construit depuis la Révolution sous le prisme d’une double exigence : la nécessaire libéralisation de la France dont les racines remontent aux trois textes juridiques incontournables : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi le Chapelier et le décret d’Allarde ; de même que l’indispensable affirmation d’un socialisme dont les fondations récentes remontent au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le préambule toujours en vigueur de la constitution de 1946 constitue d’ailleurs un des plus éclairants soubassements.   

Est-il en définitive besoin de rappeler, comme démontré tout au long, que l’article 1er de l’avant-projet de notre constitution, rédigé mot pour mot à l’image de l’article 1er de la constitution française, fonde de manière complètement légitime le fait que nos institutions constituées soient calquées à l’image de celles de la Métropole. La Guinée, dans sa version refondée est, du moins institutionnellement, une copie maladroite et inachevée de la France.

b – De nos institutions constitutionnelles : Une reproduction quasi systématique du modèle Français

Les refondateurs guinéens, à défaut d’une substance référentielle, d’un substratum politique propre idéologiquement constitué, n’ont pas réussi le pari audacieux, encore moins l’impétueux aplomb de faire mieux que les régimes précédents. La refondation qui nous a été promise n’a pas trouvé de philosophie pour la porter.

Et il fallait, comme l’ont toujours fait les Etats Africains inféodés à la France où l’intelligence rime avec l’absence de pensée, que nos institutions fussent semblables à celles de la puissance colonisatrice, conservant ainsi de façon ridiculement intacte le fameux cordon ombilical que le Président déchu proposait de couper, lequel nous maintient dans cet état d’éternels indigents, quémandeurs de systèmes de pensée et de méthode d’organisation politique et sociale.

L’avant-projet de notre nouvelle constitution n’est pas seulement riche de l’héritage franco-français qui en constitue l’essence ; il en plagie tous les marqueurs différenciants, transformant notre nouvelle République en sœur jumelle de la France, si ce n’est une petite France au cœur de l’Afrique Occidentale. 

Ce qu’il faut entendre par ces termes n’est nullement un réquisitoire de surface qui s’appuierait sur l’identité sémantique entre les institutions proposées en Guinée et celles mises en place en métropole pour immédiatement crier au plagiat. Ou si on veut, la similarité institutionnelle qui est ici défendue comme argument de disqualification ne repose en rien sur une quelconque homonymie. Que l’Assemblée Nationale porte le même nom en France ne signifie nullement que le plagiat est caractérisé. Mais que les modes de fonctionnement soient identiques soulève naturellement quelques angoisses légitimes.   

Donc ce dont il est ici question est de démontrer, comme ce fut le cas du premier postulat, que le procès de plagiat qui est fait à l’avant-projet de notre nouvelle constitution l’est tout particulièrement en raison de l’identité ou de la similarité de symboles qu’il entretient avec la constitution française qui le précède de 66 ans. Cela concerne la matière idéologique, la trame d’organisation politique et administrative des pouvoirs et les règles qui façonnent leur interaction.

Commençons d’abord par le pouvoir exécutif. Lors de la conférence de presse du 09 septembre 1965, Charles de Gaulle assène : « Qui a jamais cru que le général de Gaulle, étant appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ». L’humour est captivant et le Général a toujours les bonnes formules. Beaucoup, ce jour-là, se sont esclaffés sans vraiment comprendre la portée de la phrase qu’ils venaient d’entendre. 

Or c’est sur l’idée qui ensemence cette phrasée que la 5ème République Française a été bâtie. La 4ème République était caractérisée par sa foudroyante instabilité. Les gouvernements étaient défiés par des motions de censure devant lesquelles ils ne pouvaient résister et le président de la République, élu au suffrage indirect, était à la merci d’un parlement, lieu du pouvoir. Pendant longtemps, Vincent Auriol et René Coty, décriés par les gaullistes, avaient été considérés comme de simples figurants dans le jeu subtil du pouvoir

Il fallait donc construire un régime particulièrement fort où le Président, contrairement à ses prédécesseurs de la 3ème et de la 4ème République, dispose d’une stature inégalable. La 5ème République est donc la consécration de ce projet fondateur.

Or en Guinée, l’ubiquité et la superpuissance du Président ont toujours été décriées depuis les indépendances. Refonder ainsi la Guinée au lendemain d’un coup d’Etat marquant revenait à détricoter la présidence, à poser les questions légitimes de l’étendue de ses compétences. Plutôt que de s’illustrer en ce sens, l’avant-projet a renforcé démesurément ses attributions. Il en a fait le patron des institutions et le dieu de la République.  

Et c’est sur ce postulat que le mimétisme de la conception française du pouvoir est le plus marquant dans notre futur pacte Républicain. Nos rédacteurs ont tout pris dans la constitution du 04 octobre, même les choses les plus insignifiantes. 

Tout d’abord, le futur régime politique guinéen, tel qu’il résulte de l’avant-projet, est semi présidentiel foncièrement bicéphale, avec une redoutable prépondérance du Président. Le Premier Ministre y est présenté comme un figurant, justifiant d’attributions de simple pantin à la solde d’un Président tout puissant qui peut le faire et le défaire. Il est chef d’un gouvernement qu’il propose et que nomme le Président, parfois et presque toujours, sans pour autant que ce dernier ne se préoccupe de ses volontés. 

Cette perception d’un président commandant en chef des institutions qui ne s’encombre pas de contre-pouvoirs endogènes résulte de la vision gaulliste de l’Etat. La 5ème République est la contractualisation de ce paradoxe. 

Ensuite, Par-delà l’identité philosophique quant à la nature des deux régimes, le contenu, c’est-à-dire les principes structurants applicables au bicéphalisme d’Etat – est aussi univoque.  

En France, le président de la République est élu pour 5 ans, renouvelable une fois, au suffrage universel direct à deux tours (art. 6 et 7 de la constitution). En République de Guinée, les refondateurs n’ont pas proposé un archétype différent, ne serait-ce que pour arguer une singularité de forme. Ils ont préféré reprendre les mêmes concepts à l’article 44 de l’avant-projet, justifiant là encore l’inféodation à la France de notre imaginaire politico-social.  

Sur le plan des attributions et ce, conformément à l’article 11 de la Constitution, Le Président de la République française « veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». L’esprit de ce texte, hormis quelques manœuvres rhétoriques, est repris dans les dispositions de l’article 62 de l’avant-projet, fondant ainsi une identité de compétence entre les chefs d’Etat des deux pays. En France et en Guinée donc, en application des deux principaux textes constitutionnels, le Président ne gouverne pas. Cette tâche est dévolue au Premier Ministre.

D’autre part, les attributions spécifiques ne restent pas en marge de l’argument de la similarité institutionnelle soutenue dans ce billet. Comme le Président de la France (art. 12 ; art. 16), le Président de la Guinée peut dissoudre la chambre basse du parlement, après consultation du président de l’Assemblée Nationale (art. 136) et peut aussi, dans des conditions limitativement posées, enclencher les prérogatives exceptionnelles et s’attribuer les pleins pouvoirs (art. 137 et 138).

Les rédacteurs de notre avant-projet justifient la constitutionnalisation de ce pouvoir exorbitant du président par l’effet cliquet, invalidant du même coup, toute logique de refonte radicale. Car ce mécanisme suppose le choix volontaire de non remise en question des acquis des lois fondamentales précédentes. 

Le défis pour les refondateurs n’était en définitive pas d’inventer un régime politique propre, s’inspirant de notre diverse trajectoire historique. Le rapporteur de la Commission des lois du CNT reconnaissait sans grande peine, lors de la présentation de l’avant-projet à Paris, que la question n’a pas été abordée, à plus forte raison débattue. 

L’exceptionnalité de ce travail de mimétisme, son génie créateur, résiderait dans la rationalisation de la fonction présidentielle par l’intensification de la relation d’interdépendance entre les pouvoirs, ce qui, aux yeux de nos refondateurs, est susceptible de les contrebalancer. 

Cette vision irréaliste, utopiste et étriquée de la gouvernance est débarrassée de toute pertinence dès qu’elle sort de la déclinaison théorique pour embrasser la réalité. Car, c’est dans sa relation avec le parlement que le déséquilibre s’exprime davantage en faveur du président. L’inféodation soutenue à l’entame refait surface, car même ici encore, la prépondérance de l’idéologie française est incontestable.

La colonisation de notre imaginaire dont il est question ici se voit, plus loin dans le texte produit par notre CNT en manque d’inspiration et de créativité, dans leur proposition d’un parlement bicaméral composé d’un sénat et d’une Assemblée Nationale. Le nouveau parlement guinéen sera donc bicaméral si le projet constitutionnel qui l’institue est approuvé par référendum. Ce sera indiscutablement une première dans notre histoire constitutionnelle. Est-il besoin de rappeler que ce qui a toujours fait la particularité de notre modèle politique est l’unicité organique du corps législatif.

En Guinée, l’Assemblée Nationale a été pendant longtemps l’institution exclusive qui jouait le double rôle de représentation/législation et de contrôle de l’action gouvernementale. Quoiqu’il soit difficile ou presqu’impossible de fonder sur cette particularité une quelconque originalité du parlementarisme guinéen – l’AN française et celle guinéenne fonctionnant de façon quasiment identique –, notre système parlementaire avait peu ou prou le mérite, certes dérisoire, d’incarner dans la forme au moins, une certaine dichotomie.

Or ce que propose Dansa et ses collègues n’est pas seulement une rupture avec cette singularité de forme, il s’agit avant tout de parachever l’uniformisation des systèmes constitutionnels guinéo français enclenchée sous le CMRN

A la question de savoir pourquoi cette innovation ou du reste, qu’est-ce qui justifie ce dualisme désormais au cœur de l’idéologie de représentation nationale, l’un des conseillers de la transition – Sorel CAMARA – a tenté d’en donner la plus objective des explications. Pour lui, il n’y a pas de raison pour la Guinée de rester en marge d’une révolution qui est déjà d’actualité en Côte d’Ivoire. 

Mais le fait est que la réponse de Sorel ne répond pas à la question posée ; elle repose plutôt la question avec une certaine dose de dédain et d’agacement : si notre voisin ivoirien l’a fait, pourquoi pas nous ? A cours d’arguments juridiques et n’ayant pas d’éléments socio-historiques ou anthropologiques pour construire une défense persuasive du postulat d’originalité et d’innovation dont il semblait se gargariser,  ce conseiller semble reconnaître, quoique malgré lui, que c’est en fait le désir de faire  comme la Côte d’Ivoire, qui a fait comme la France, qui a servi de prétexte à la mise place de ce bicaméralisme complètement improvisé. 

Personne ne cherche à savoir si une telle innovation est utile ou coûteuse ; encombrante ou incontournable. Du moment où c’est nouveau, la question de la nécessité est évacuée. Aucune étude sérieuse, en ces temps de crise du système représentatif guinéen, n’a été menée pour déterminer le type de modèle qui pourrait nous convenir. C’est bien pour cette raison que l’Assemblée Nationale et le nouveau Sénat proposés par l’avant-projet constitutionnel s’inscrivent dans l’air du temps voués hélas à une tonitruante inefficacité. 

Ne nous attardons point sur l’Assemblée Nationale pour justifier ce postulat puisque de toutes les façons l’inefficacité de celle-ci nous est familière. Elle a toujours été le prolongement d’un exécutif à la dérive qui n’a jamais su se renouveler. Les innovations techniques accessoires destinées à améliorer le fonctionnement de cette chambre basse apportées par les collègues de Dansa sont davantage un problème qu’une solution. Il ne nous semble pas qu’en l’état elles puissent changer grand-chose. 

Il en va de même du Sénat, considéré par les rédacteurs du nouveau projet comme la plus grande avancée démocratique du nouveau schéma institutionnel qui nous est offert. 

Sur le plan de la substance, la chambre haute ne servira strictement à rien dans le contexte guinéen, sinon à alourdir les dépenses de l’Etat. Elle est pensée comme un organe essentiellement consultatif dont les avis ne produisent pratiquement aucun effet contraignant, hormis le cas exclusif des dispositions de l’article 112 de l’avant-projet relatif aux nominations dans la haute fonction civile d’État où l’approbation des sénateurs reste une condition de validité. Le président de la République, dans les autres cas, est seulement contraint de la saisir afin que ses membres expriment leurs observations (art 66), lesquelles ne s’imposent nullement au président. 

Sur le plan législatif, elle joue un rôle marginal, loin derrière l’Assemblée Nationale, si bien qu’en cas de désaccord sur le vote d’un projet ou d’une proposition de loi et lorsque le désaccord persiste après mise en place d’une commission mixte paritaire, la prépondérance revient à l’AN sur décision du gouvernement (art 116). 

D’un point de vue compétence, elle est aussi garante de l’harmonie entre les coutumes et la constitution ; de la préservation de la paix sociale et de l’unité nationale (art 113). Une attribution fourre-tout qui n’a aucune signification matérielle concrète et donc là aussi, non normative. 

On pourrait également déplorer la mainmise subtile de l’exécutif du fait du choix d’un tiers de ses membres par le Président de la République (art 110), faisant obstacle au principe constitutionnel de l’autonomie des assemblées, lesquelles, pour bénéficier d’une certaine légitimité, devraient compter sur des membres entièrement élus. La condition de validité posée à l’article 112 perd toute valeur, car quoiqu’il arrive le président peut compter sur les sénateurs qu’il aura choisis. 

Sur le plan téléologique, le Sénat guinéen n’est pas différent du Sénat français. Ce sont là deux institutions fantômes, indissolubles (art 109) à forte tendance gérontocratique (composée majoritairement de vieux), au contour insaisissable, au contenu gazeux et à la caractéristique budgétivore. 

Plusieurs autres points auraient pu être soulevés pour rendre la démonstration bien plus solide qu’elle ne l’est déjà, tant il est vrai que les paramètres non abordés demeurent nombreux. Mais ces exemples suffisent pour contrer le discours officiel de la nouveauté « radicale » exagérément défendue par les conseillers de la transition. 

Et puis, il y a les progrès nébuleux, les innovations de surface qui enténèbrent la voie. Nous en parlerons en détail dans les deux articles à venir avec, à la fin, une proposition d’un contrat social audacieux, à la hauteur de ce que l’histoire pourrait attendre d’un pays comme le nôtre.