Nous y sommes finalement. La seconde inauguration de Donald Trump à la tête de l’empire étatsunien manifestement en déclin a enfin eu lieu en début de semaine. Soit un peu plus de deux mois après la cuisante défaite des Démocrates, portés par une Kamala Harris hors-sol qui n’a, en fin de compte, ni fait montre du charisme qu’on lui prêtait ni eu l’audace politique de définir une vision économique et diplomatique écartée de l’héritage grandement décrié de Joe Biden. Et puisque nous y sommes dorénavant, peut-être est-il temps de faire un petit recul analytique pour comprendre pourquoi beaucoup, surtout en Afrique et dans le reste du monde non-occidental, semblent caresser une certaine espérance quant à ce qu’incarnerait un certain Trumpisme 2.0

Selon eux, ce dernier s’attellerait à défaire l’atlantisme démesuré et le globalisme foncièrement délirant et méprisant de l’administration Biden, qu’ils accusent – à tort ou à raison – d’avoir plongé le monde dans des guerres interminables tout en desservant paradoxalement les fameux intérêts stratégiques de Washington. D’ailleurs, à en croire le rôle décisif que toute la presse anglo-saxonne – qu’elle soit mainstream ou alternative – a prêté à Trump dans le cessez-le-feu signé récemment entre Israël et le Hamas, le nouvel ancien président américain serait vraiment prêt à en découdre avec les illusions globalistes et les folies de grandeur de l’establishment libéral américain. Mais Trump, par delà sa rhétorique de rupture radicale et quelques actions symboliques qui viseront à rassurer sa base électorale et idéologique, va-t-il ou voudra-t-il vraiment démanteler l’hégémonisme et le méprisant complexe de supériorité qui voudrait que l’Amérique soit « the greatest nation » du monde ?

Sans être cynique ou dédaigneux à l’égard de ceux qui entretiennent un tel espoir, je pense que non. Je suis des observateurs et analystes qui estiment que, tout compte fait, si l’on devrait apprendre ou retenir quelque chose de l’année 2024, laquelle aura été marquée par des conflits et des tensions internationales qui ont interpellé même les observateurs les plus occasionnels de la géopolitique, c’est que la guerre – froide ou chaude – entre l’Occident et ses principaux rivaux sera désormais une donnée constante de notre ère. Nous faisons, pour le dire autrement, désormais face à un retour inéluctable de la guerre et de la rivalité entre grandes puissances. Et plutôt que de fantasmer une paix universelle ou de compter sur les stériles médiations d’une communauté internationale en perte de vitesse et d’influence, il vaut mieux ôter les lunettes de certitudes libérales et d’espérance naïve pour porter celles du scepticisme et de l’interrogation des enjeux immédiats et profonds des crises actuelles et à venir. 

Qu’on ne s’y méprenne donc point. Je sais et comprends que, même face à la campagne génocidaire d’Israël à Gaza, diffusée en format HD jusque sur les comptes TikTok des adolescents du monde entier, ainsi que l’avancée lente mais inexorable de la Russie en Ukraine occupant l’imagination des élites occidentales, d’aucuns pourraient être tentés de dissocier ces conflits les uns des autres. Or une telle démarche serait une erreur monumentale d’appréciation. Car au fond, ces différentes tensions ne sont que des pièces d’un puzzle géopolitique infiniment complexe, propre à notre époque.

Il est tout aussi tentant de railler les Européens qui présentent le conflit en Ukraine comme un combat héroïque pour la défense de la démocratie, surtout après plusieurs années de délitement des démocraties de par le monde. 

Face à ce sidérant manque d’égard aux atrocités qui assombrissent toute perspective d’avenir et de vie décente dans le monde dit non-occidental, comment ne pas comprendre l’agacement et la rage de ceux qui s’insurgent contre cette propension des médias et commentateurs mainstream, très souvent des néocons, à présenter le génocide de Gaza comme étant un crime certes révoltant, mais isolé et auquel seule la sensibilisation et l’activisme politique pourraient mettre un terme ? Et comment, vue d’Afrique, ne pas comprendre cette tentation de hausser les épaules et de cligner des yeux quand l’incessante couverture médiatique de la crise ukrainienne et des tensions du Moyen-Orient invisibilise toutes ces innommables atrocités commises au même moment au Soudan et dans l’est du Congo

C’est dire qu’il y a des conflits que le monde qui se dit civilisé semble juger dignes d’intérêt et d’autres qu’il ignore ostensiblement. Après tout, dans l’imaginaire mainstream, libéral ou néocon, le tragique est le propre de l’Afrique. Et parce qu’une grande frange de l’élite mondiale – occidentale surtout, mais pas que – considère les guerres et la violence inouïe qui les caractérise comme étant l’état naturel des affaires africaines, l’Afrique pour eux est essentiellement synonyme d’enfants au ventre gonflé et au regard émacié, souvent accompagnés de mouches omniprésentes et faisant l’objet d’appels désespérés aux dons étrangers.

Mais l’hypocrisie et les illusions ou folies de grandeur des médias mainstream n’ayant pas d’égales, leur traitement de la fulgurante tombée du régime syrien pourrait faire pâlir même l’afrocentriste le plus radical, qui croit que l’Afrique est le lieu qui a le plus souffert des fantasmes messianiques de l’Occident collectif.  

Sans entrer dans le très dangereux jeu de l’après-Assad auquel s’adonnent désormais tous ceux qui se sont subitement auto-proclamés experts de la Syrie, il est quand même curieux que, dans leur enfièvrement Orientaliste habituel, les médias et chancelleries occidentaux célèbrent bruyamment la chute de Bachar al-Assad tout en balayant d’un revers de la main le passé très odieux des nouveaux hommes forts de Damas. Il est même honteux que, ce faisant, ils veulent nous faire oublier que ces nouveaux venants qu’ils applaudissent ne sont autres que ces extrémistes religieux qui, il y a encore cinq ans, étaient considérés par l’ensemble des mêmes médias et chancelleries comme l’incarnation par excellence de l’ultime menace à l’existence et à l’essence idéologique et civilisationnelle de  « l’Occident libre ». 

Et au même moment, dans le silence assourdissant et l’indifférence générale des élites globalistes dont l’éthique d’universalisme et de responsabilité humanitaire ne vaut que pour des pays ayant de l’intérêt « stratégique » à leurs yeux, les mêmes médias et chancelleries détournent dédaigneusement leur regard du fait que, en Asie du Sud-Est, une dictature militaire est en train de perdre rapidement du terrain face à une coalition remarquable de groupes ethniques locaux. Combien de personnes savent même qu’il y a une guerre en cours  en Birmanie, et que la junte dont les officiers y ont longtemps terrorisé et régné en maîtres absolus et impitoyables est en passe de perdre le pouvoir ?

Ce focus sélectif sur certains conflits en 2024 a, une fois de plus, mis en lumière la capacité hautement discriminatoire du citoyen moyen à s’indigner et à agir. Après tout, pour beaucoup d’entre nous, nos combats quotidiens pour nous construire une vie de sens et de confort pour nous-mêmes et nos familles suffisent à capter toute notre attention et à épuiser notre énergie.

Cet article tente donc d’apporter un peu de structure à un monde apparemment chaotique. Il s’agira, pour le dire autrement, d’offrir au lecteur pressé et acculé par les sacrifices de son quotidien laborieux mais tout de même soucieux de comprendre la marche du monde, un bref aperçu de l’ensemble du puzzle géopolitique qui nous attend en 2025.

Les bords du puzzle

L’un des principaux axes pour analyser les conflits récents est la théorie du « retour de la compétition entre les grandes puissances » de la scène internationale. Un changement sismique a en effet eu lieu autour de 2017, lorsque le « moment unipolaire » de l’hégémonie exclusive des États-Unis sur les affaires mondiales s’est progressivement transformé en une nouvelle guerre froide entre l’Occident et la Chine.

Le concept de « retour de rivalité entre les grandes puissances » nous vient des théories réalistes et néoréalistes des relations internationales, un champ d’étude longtemps relégué en Occident au rang de théorie explicative du passé, mais non du présent ou de l’avenir. Longtemps, on lui a préféré le libéralisme qui promettait un monde où les États détermineraient leur propre destin et où les démocraties émergeraient progressivement jusqu’à atteindre un nirvana de paix mondiale, de démocratie et de liberté individuelle.

Si cet article semble empreint de cynisme à l’égard du libéralisme, c’est que les libéraux eux-mêmes ont rendu cette moquerie inévitable. Après tout, des figures comme Francis Fukuyama ont annoncé « la fin de l’Histoire » après la chute de l’Union soviétique, et les États-Unis ont fait de cette théorie leur prisme principal d’appréhension du monde. 

Au début des années 2000, cette vision biaisée avait tellement colonisé l’imaginaire stratégique étatsunien que des présidents américains pouvaient, au lendemain d’une attaque historique au coeur du capitalisme américain par un groupe jihadiste jadis armé et financé par Washington pour contrer la présence sovétique en Afghanistan, déclarer avec assurance :« Ils nous détestent parce que nous sommes libres. » 

Mais plutôt que de fournir une litanie d’exemples pour discréditer la théorie libérale, concentrons-nous sur les idées motrices de la pensée néoréaliste et les outils que celle-ci offre pour discerner des structures et des tendances logiques dans un monde apparemment chaotique et dénué de sens.

Au cœur du néoréalisme ou du « néoréalisme offensif », se trouve l’idée que les nations évoluent dans un système sans arbitrage. En l’absence d’une autorité suprême capable de sanctionner ou de récompenser leurs comportements, chaque pays doit assurer sa survie en augmentant sa puissance face à ses rivaux potentiels.

Ainsi que l’affirme en effet John Mearsheimer, théoricien néoréaliste de renom, « être le plus grand et le plus redoutable » est la seule garantie de survie dans la jungle sans foi ni loi qu’est la scène internationale. Les nations qui négligent ce principe fondamental mettent leur existence même en péril et s’engagent dans une lutte éternelle où la compétition, et parfois la guerre, sont inévitables.

Il est vrai que cela peut sembler déprimant. Cependant, l’ironie est que cette prise de conscience d’une structure sous-jacente qui influence le comportement des nations permet d’éviter de percevoir notre monde comme étant peuplé de nations ou de peuples mus par des intentions malveillantes ou un chaos fondamental. De fait, voir en chaque État-nation une entité rationnelle, motivée par son auto-préservation, permet de prédire et de prévenir les conflits, tout en évitant la propagande.

Si tout cela semble encore trop abstrait, appliquons cette théorie à la tendance géopolitique la plus importante du moment : l’émergence d’une nouvelle guerre froide entre la Chine, les États-Unis et leurs alliés.

Assembler les pièces du puzzle

La Chine est un pays qui a appris à comprendre le néoréalisme à ses dépens. Lorsque cette nation plurimillénaire était à son plus bas, au siècle précédant la Seconde Guerre mondiale, les empires coloniaux n’ont eu aucune difficulté à la dépouiller. Entre 1838 et 1945, la Chine a subi une ère de défaites militaires, d’annexions de territoires par des puissances étrangères, mais aussi d’imposition de lois et de coutumes étrangères.

Il n’est donc pas surprenant que les Chinois qualifient cette période de « siècle d’humiliation » et qu’ils ne souhaitent en aucun cas revivre cette histoire douloureuse, brutale et déshumanisante. Désormais, la Chine évolue dans le même jeu sans arbitre, mais elle s’efforce de devenir l’un des joueurs les plus puissants afin de ne plus jamais être intimidée ou humiliée.

Cependant, un autre élément clé du néoréalisme est la prégnance ou l’inévitabilité du « fameux piège de Thucydide », une conception stratégique qui place inéluctablement tout nouvel hégémon régional émergent en opposition à la puissance ou superpuissance du moment, laquelle est naturellement déterminée à pérenniser son hégémonie et à maintenir les autres nations dans un état de puissances secondaires ou de vassaux.

La montée en puissance de la Chine, autrefois célébrée pour avoir sorti près d’un milliard de personnes de la pauvreté, est désormais perçue comme celle d’un nouvel adversaire qui veut dominer le monde. Après avoir été l’usine préférée de l’Occident pendant des décennies, la Chine est désormais présentée comme une menace à anéantir ou à domestiquer.

Pour un observateur non averti, ce changement de paradigme serait imputable à l’agressivité de la Chine envers Taïwan et à l’invasion imminente prophétisée par les médias occidentaux comme une bombe à retardement qui déclenchera forcément un conflit entre Pékin et l’Occident. On oublie les cinq décennies où les nations occidentales n’avaient aucun problème à reconnaître Taïwan comme une partie intégrante de la Chine, attitude qui était d’ailleurs gravée dans leur adhésion au principe de la Chine unique.

Le soudain intérêt occidental pour Taïwan en tant que bastion de la démocratie, une nation dont la défense mériterait, selon certains, de risquer une guerre nucléaire, s’inscrit dans la dynamique de la géopolitique de rivalité entre les grandes puissances. D’une certaine manière, l’Occident mené par les États-Unis s’est retrouvé dans cette situation en raison de son comportement durant la période unipolaire, lorsque, pour la première fois dans l’histoire, une seule superpuissance dominait le monde.

Grâce à la dissuasion nucléaire américaine, la Chine ne représente aucune menace existentielle pour les États-Unis ou même pour leurs alliés dans la région. Pourtant, son émergence en tant que superpuissance à part entière la place en conflit direct avec les États-Unis. Après tout, la théorie néoréaliste stipule que la Chine ne peut et ne voudra jamais lever le pied de l’accélérateur, qu’elle doit et veut continuer à accroître sa puissance et son influence dans son voisinage immédiat.

Les Américains, s’inspirant de leur propre histoire, sont convaincus que la Chine rêve d’étendre son influence, d’abord sur l’anneau d’îles le plus proche de ses côtes, puis sur le second, repoussant ainsi l’influence américaine dans l’océan Pacifique. Une fois que la Chine aura sécurisé sa région, comme les États-Unis le font actuellement avec l’hémisphère occidental, elle bénéficiera de la sécurité et du confort nécessaires pour que ses flottes jouissent d’une plus grande « liberté de mouvement ».

Cette liberté est un privilège actuellement réservé aux États-Unis ; elle leur permet notamment de patrouiller le monde avec leur marine et leur aviation, exerçant ainsi une influence et une puissance presque sans limites sur leurs vassaux et une grande partie du monde. Une telle liberté découle du fait que les États-Unis ne craignent aucune menace dans leur propre hémisphère, ce qui leur permet de concentrer leur pouvoir militaire et diplomatique ailleurs.

C’est cette peur d’une Chine plus confiante ou conquérante parce que plus libre dans sa région qui pousse les États-Unis à vouloir « contenir » Pékin. Ceci explique bien entendu la grande crainte de Washington face à la construction actuelle par la Chine d’une marine en haute mer, capable d’opérer en dehors de l’Asie de l’Est. Il peut sembler absurde que les États-Unis craignent les trois porte-avions chinois, étant donné que la marine américaine en comptera bientôt deux douzaines. Mais en adoptant une perspective néoréaliste, on comprend aisément pourquoi cette montée en puissance de la capacité chinoise est perçue comme une menace directe pour la puissance américaine dans l’Asie-Pacifique et le reste du monde.

Les pièces manquantes

Comment, serait-on tenté de demander, ce cadre néoréaliste explique-t-il vraiment l’apparente folie des conflits qui font rage en Ukraine, au Soudan et au Moyen-Orient ? Les récits médiatiques habituels présentent presque exclusivement ces conflits comme des cas isolés de lutte entre le bien et le mal. Il s’agit souvent, comme on l’a vu dans la chute du régime de Bashar al-Assad, d’une vue simpliste et empreinte d’idéologie qui estime que les « héroïques » rebelles syriens ont bien fait de renverser le « tyran » et « boucher » de Damas, que le « vilain impérialiste » russe s’enlise dans une odieuse campagne de conquête de la « petite et innocente » Ukraine. Sous ce tropisme occidento-centré, tous ces cas singuliers de violences spontanées ou organisées sont aisément attribuables soit à une méchanceté inhérente à ces pays prétendument peu civilisés, soit à une lutte héroïque des alliés occidentaux pour résister à une atteinte à leur intégrité territoriale ou leurs intérêts nationaux vitaux.

Ces récits visent à rassurer ceux qui soutiennent les « héros », mais ils occultent les véritables facteurs sous-jacents, rendant ainsi la paix presque impossible à atteindre. Dans un tel contexte, expliquer le sort du Soudan, de la Syrie ou encore de la Libye sous l’angle d’une prévisible lutte régionale pour le pouvoir mettrait l’accent non seulement sur les parties belligérantes, mais aussi sur les puissances régionales qui s’immiscent dans les affaires de leurs voisins plus faibles.

Face donc à ce tourbillon d’explications intellectuelles apparemment désintéressées mais au fond politiquement motivées, qui rendent souvent plus compte des intérêts de ceux qui les tiennent plutôt que de la réalité d’un monde complexe qu’ils prétendent expliquer, il est nécessaire d’adopter une perspective néoréaliste. En un certain sens, se prémunir d’une telle perspective consisterait à accepter sans exagérer l’influence manifeste des États-Unis, d’Israël et de la Turquie dans la révolution syrienne en cours. Elle consisterait également à mettre en lumière l’impact des Émirats arabes unis dans le massacre insensé perpétré au Soudan. Ou à expliquer l’invasion russe de l’Ukraine non pas comme un acte de folie irrationnelle, mais comme une réaction à l’expansion progressive de l’OTAN vers l’est.

Mais le néoréalisme explique très peu le conflit israélo-palestinien, qui est avant tout une guerre civile à l’intérieur du Grand Israël ou de la Grande Palestine, selon la fenêtre d’où l’on observe cette conflagration séculaire. En revanche, il éclaire le soutien militaire et diplomatique occidental envers Israël, en phase avec l’hégémon régional qu’est l’Amérique et ses efforts pour soutenir son allié stratégique privilégié.

Adopter cette perspective néoréaliste permet ainsi d’éviter de percevoir les conflits actuels comme une folie dictée par la malveillance ou la supposée nature belliqueuse ou bestiale de l’homme. Elle permet, au contraire, de voir en chaque conflit armé une continuation de la politique par d’autres moyens, pour reprendre les termes éloquents et éminemment pertinents du célèbre théoricien militaire Carl von Clausewitz. Cette vision ne se contente pas de faciliter la compréhension des guerres actuelles ; elle peut aussi être essentielle pour y mettre fin et prévenir de futures crises.

La guerre en Ukraine en est un exemple frappant. La pragmatique chancelière allemande Angela Merkel avait prédit dès 2008 que l’inclusion de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN serait perçue par Moscou comme une déclaration de guerre. L’invasion russe de la Géorgie la même année avait par ailleurs confirmé cette sage mise en garde.

Si les États-Unis et l’Occident collectif avaient considéré l’invasion russe de l’Ukraine comme une réponse à l’expansion progressive de l’OTAN vers l’est, un accord de paix aurait pu être signé en quelques mois, épargnant des centaines de milliers de vies. Pourtant, l’OTAN a persisté et continue d’ignorer les priorités sécuritaires russes dans son récit officiel ou public sur ce conflit, rendant la paix presque impossible.

Anticiper les conflits futurs

En Afrique, les néoréalistes seraient tentés de pointer du doigt des nations riches en ressources mais nettement faibles ou faillies, comme le Soudan du Sud ou la République Démocratique du Congo, qui aujourd’hui encore semble connaître un « siècle d’humiliation ».

Des points de tension moins évidents pourraient également être identifiés grâce à la théorie néoréaliste, notamment dans des pays où des conflits internes affaiblissent les États et les rendent vulnérables à l’ingérence de voisins ou d’acteurs régionaux. Une résurgence de la violence ethnique en Éthiopie, une aggravation des divisions tribales au Tchad, un effondrement économique au Zimbabwe – voilà autant de scénarios où des problèmes internes affaiblissent les États et créent des vides de pouvoir qui sont exploités par des voisins en quête d’influence.

En Afrique de l’Ouest, la combinaison de difficultés économiques et d’une population jeune pourrait aggraver l’extrémisme religieux, affaiblir encore davantage les pouvoirs étatiques et créer de nouveaux foyers de conflits alimentés par des États cherchant à projeter leur puissance dans la région.

Construire des États solides pour la survie nationale

S’ils adoptent vraiment une approche néoréaliste, les décideurs, la société civile et les citoyens de cette région peuvent être amenés à s’impliquer davantage dans la construction d’États forts et stables. Non seulement pour le bien-être des citoyens de chacun de pays concernés ou la sauvegarde de concepts abstraits mais essentiels comme les droits de l’homme ou l’État de droit, mais aussi pour assurer la survie même de leur État-nation.

Car au fond, en comprenant et en intégrant à leurs grilles de lecture parfois divergentes l’importance vitale d’un État capable d’offrir une sécurité géopolitique fiable, les acteurs nationaux finissent par s’accorder sur la nécessité de construire ensemble cet espace garant de liberté et de sécurité, pouvant surtout atténuer les tensions entre voisins et fournir une base pour un dialogue interne.

Pour les néoréalistes, la taille de la population et la richesse d’un pays sont deux facteurs déterminants du pouvoir étatique dans la structure internationale. Construire un État puissant, capable de projeter son pouvoir à l’échelle régionale, devient ainsi un argument en faveur de la stabilité économique et du bien-être du citoyen.

Adopter le néoréalisme comme impératif national peut sembler être en déphasage avec les idéaux panafricanistes. Pourtant, en en faisant une locomotive d’unité continentale et un moyen de construire des États plus forts et plus stables, le néoréalisme pourrait paradoxalement accélérer le développement des nations africaines et réduire la probabilité des conflits.

À long terme, adopter une telle philosophie ou se prémunir d’une telle vue sur la scène mondiale et nationale pourrait favoriser une course à la croissance économique comme outil de projection de puissance, similaire à ce que l’on observe entre les nations européennes.

Pour un avenir pragmatique

L’état de la guerre en 2025 va refléter en grande partie la lutte séculaire de l’humanité avec la notion de pouvoir : la quête incessante de celui-ci, la vulnérabilité des États plus faibles et la morale sélective qui régit l’opinion dite internationale ou mondiale.

Pourtant, au cœur de ce tableau sombre se trouve une opportunité de repenser notre approche des conflits et de la coopération. En adoptant une perspective néoréaliste, les nations et les citoyens du monde peuvent reconnaître les forces sous-jacentes qui régissent les affaires internationales et naviguer dans les complexités de la politique mondiale avec davantage de clarté et de pragmatisme.

Plutôt que de céder au désespoir ou aux récits simplistes opposant le bien et le mal, cette perspective peut inspirer les nations à se concentrer sur la résilience, la stabilité et la prospérité économique, non comme une fin en soi, mais comme un moyen de garantir leur survie dans un monde impitoyable.

C’est en adoptant ce prisme pragmatique que nous pourrions envisager un avenir où les conflits, bien qu’inévitables et difficiles à éradiquer, seraient gérés avec plus de prévoyance et de détermination, et où la quête du pouvoir serait orientée vers des fins constructives plutôt que destructrices. Le puzzle qui se présente à nous en 2025 est certes complexe, mais ses pièces ne sont pas hors de notre compréhension ni de notre capacité à les réorganiser pour un monde plus stable et plus juste.