Le Président de la transition ne peut pas être candidat aux futures élections. La Charte de la transition le lui interdit formellement. Et, à plusieurs reprises après la prise du pouvoir, il a tenu à faire de cet engagement un serment solennel en donnant sa parole d’honneur. « Ni moi, ni aucun membre du gouvernement ne sera candidat aux prochaines élections », a-t-il martelé lors d’une interview accordée à Alain Foka. 

Cette assurance d’arbitrage neutre et éthique – pour éviter selon lui les erreurs du passé et apprendre aux Guinéens actifs dans la gestion de la chose publique à respecter leur parole d’honneur – est (ou devrait être) pour ma part la base du contrat social qui nous lie au CNRD. Face à toutes les acrobaties politiques et électoralistes de ses courtisans plus royalistes que le roi, dont la cupidité et la myopie politique avaient jadis conduit ses prédécesseurs à s’accrocher au fauteuil présidentiel, le Général Mamadi Doumbouya se doit d’être cet arbitre qui ne peut s’inviter dans le jeu. 

Tout comme le Capitaine Dadis Camara avant lui, il ne peut briguer aucun poste électif. Et le débat juridique à ce sujet, bien qu’intéressant, est sans aucune importance. Car il est avant tout question de morale et, plus crucial encore, il s’agit là d’un enjeu politique aux retombées imprévisibles pour notre pays.

Pour le dire autrement, au-delà des théories philosophiques et politiques, la refondation promise de l’Etat guinéen et de la gouvernance politique par le CNRD est une chose bien plus facile. Il suffirait que chacun(e) de nous respecte ses engagements et reste exactement à sa place initiale. Rien en cela n’est plus légitime que de demander au président de la transition de donner par lui-même le véritable exemple. Parce qu’au fond, il n y a aucune refondation quand on s’efforce tant bien que mal à enterrer ses propres engagements.

Dans une précédente réflexion sur le projet de nouvelle constitution, j’avais souligné ceci : « Aucun homme politique, quelles que soient son emprise politique et sa force dans le maintien de son pouvoir, ne peut impulser le changement dans la gouvernance politique de la Guinée s’il se refuse à donner par lui-même l’exemple et l’exigence du respect de la parole donnée. De ce point de vue, il est clair que le changement ne se décrète pas et que la réforme sociale, même avec toute la volonté du monde et toutes les théories sociales, ne peut être impulsée que par l’exemple donné en haut de la pyramide. » 

Éviter les pièges du pouvoir

Le Président de la transition a donc tout intérêt à ne pas se prêter aux errements des sempiternels courtisans de palais, encore moins aux folles tentatives avec lesquelles le pouvoir malmène les plus imprudents. Car le pouvoir a bien souvent la manie de donner l’illusion d’être invincible, de vous convaincre que vous êtes plus important que tout et tous, que vous êtes indispensable – jusqu’à ce que la déchéance vous rappelle la solitude de l’échec et la petitesse de l’homme dans la grande histoire d’un peuple.

Jusqu’à preuve du contraire, il ne me semble pas que tous ceux qui s’agitent autour d’un projet de refondation ignorant les exigences fondamentales de la transition en cours – à savoir l’organisation d’élections libres, transparentes et apaisées – agissent au nom du Président de la transition. Et ce dernier n’est pas non plus obligé de répondre de ces gens-là. Par contre, dans le souci de ne pas laisser libre cours à la confusion et la propagande politicienne, il revient au président de la transition d’interdire de manière vigoureuse tout propos allant dans le sens de sa candidature à la prochaine présidentielle. Il lui revient surtout d’insister auprès de ses proches collaborateurs, qui sont en quelque sorte perçus comme ses émissaires dans l’opinion publique, de ne pas se prêter à la provocation. 

Ce qu’il faut craindre, ce n’est pas tant la confiscation du pouvoir et la prise en otage de l’appareil d’Etat. Ce sort, les Guinéens le connaissent de bien des manières. Mais il faut craindre surtout la pérennisation du chaos politique et l’incertitude quant à l’avenir de notre jeune démocratie en perdition. Si le Président Mamadi Doumbouya ne met pas fin à la confusion qui règne actuellement autour de ce qu’il veut vraiment pour la Guinée, on s’achemine vers un autre schéma de rêve brisé. 

Comme sous le CNDD et le CMRN, on risque de déboucher sur une certaine déception, cette ultime, désarçonnante et coûteuse fin d’une promesse de renouveau politique et démocratique. Aujourd’hui comme hier, ce qu’on demande à la transition est de réussir son pari d’impulser le changement de paradigmes et poser ainsi les bases d’une véritable sortie de la déliquescence politique dans laquelle baigne la Guinée depuis trop longtemps. Il s’agit de montrer le chemin à suivre pour véritablement, après la transition, mener la Guinée vers la prospérité et le développement. C’est donc la déception de trop du peuple qu’il faut craindre après lui avoir donné un si grand espoir. 

Après trois longues années, les Guinéens sont en droit d’exiger un bilan clair de la transition. Et avec un CNRD oscillant pour le moment entre promesses à moitié tenues et désillusions croissantes, le constat, globalement insatisfaisant, est que plusieurs engagements majeurs n’ont pas été tenus. On peut, sans aucune prétention d’exhaustivité, dresser la liste suivante : 

 ● La justice était censée être la boussole de la transition, mais la disparition inexpliquée de figures du FNDC, notamment Foniké Menguè et Billo Bah, suscite encore des interrogations. On s’interroge également sur ce qu’est devenue la CRIEF, que beaucoup d’entre nous avaient pourtant accueillie favorablement.

● Les promesses d’enquêtes sur des drames nationaux, comme l’incendie du dépôt pétrolier de Kaloum, restent sans suite. Le drame du stade de N’zérékoré où, encore une fois, de nombreux de nos compatriotes ont récemment perdu la vie dans des conditions que les autorités locales et nationales ne semblent pas vouloir expliciter, a doublement noirci le sinistre tableau de méfiance et de suspicion qui s’installe graduellement entre le pouvoir et le peuple. 

● L’interdiction des manifestations de soutien au CNRD n’a pas été respectée.

● Les projets de construction de raffineries d’aluminium n’ont pas vu le jour.

● Le rapatriement de 50 % des réserves en devises des sociétés minières demeure lettre morte.

● L’exploitation de Simandou annoncée pour 2024 reste entourée d’incertitudes.

● Enfin, le référendum constitutionnel prévu avant la fin de 2025 semble repoussé indéfiniment.

● On nous promet Simandou 2040 depuis quelques mois, mais jusque-là le contenu de ce gigantesque projet est entouré d’énigmes et de non-dits politiciens. 

Bah Oury : la grande déception

Tous ces manquements renforcent le sentiment de désillusion parmi ceux qui croyaient que cette transition serait exemplaire. Mais peut-être la plus grande déception est la métamorphose que connaît le doyen Bah Oury depuis sa nomination à la primature. Je suis particulièrement concerné par cette autre désillusion parce que, comme pourraient le deviner les lecteurs réguliers de mes analyses et prises de position, j’étais convaincu qu’il fallait à la transition guinéenne un chef de gouvernement de la trempe de Bah Oury pour mener à bien la danse éminemment délicate autour des compromis nécessaires que requiert un véritable dialogue politique dans un contexte national de fragilité et de confusion extrêmes.  

Ma conviction – et mon espérance – était que Bah Oury serait à la transition du CNRD la figure tutélaire de désamorçage et de modération que fut le doyen Jean-Marie Doré pour la transition du CNDD. Cette idée émanait d’une perception globale plutôt favorable dont bénéficiait ce vétéran de la scène politique guinéenne : homme de conviction, acteur raffiné et subtile, et surtout défenseur intransigeant de l’intérêt général qui n’aurait pas sa langue dans sa poche quand il n’est pas d’accord avec les tournures que prennent les choses. 

Or, il n’est en rien. Au fond, comme le Président Alpha Condé et bien d’autres leaders politiques avant lui, le doyen Bah Oury est exactement le contraire de tout ce qu’il semblait incarner avant d’être exposé aux  tentations corruptrices du pouvoir absolu. Désormais l’ombre de lui-même, le doyen se fourvoie et se dédit à souhait. La sagesse, l’éthique de conviction, un certain attachement républicain au bien général –  valeurs qu’il a appelées de ses vœux en signant, un peu avant sa nomination comme Premier Ministre, une pétition publiée dans ce magazine, ne sont plus que de lointains souvenirs, reliques d’un temps politique apparemment révolu en Guinée : celui d’un engagement politique sincère, mû par un véritable désir de servir la nation et non de se servir d’elle. 

Une dernière chance

Le CNRD doit nécessairement et objectivement faire son bilan politique s’il entend obtenir l’adhésion des Guinéens quant à la suite à donner à la transition en cours. Il doit les informer du vrai délai de ladite transition, après le glissement qui en est devenu inévitable. Il doit dégager par consensus le chronogramme des élections, sans quoi il risque de se confondre avec un pouvoir militaire qui s’éternise insidieusement. C’est pourquoi le dialogue devrait être rétabli avec tous les acteurs de la transition, afin que notre pays ne se retrouve pas constamment confronté à des situations inutiles. Notre classe politique doit plus que jamais faire preuve d’initiatives et être prête à faire des compromis pour garantir une sortie paisible et honorable des militaires au pouvoir.

Mais connaissant la sociologie politique de notre pays, la cupidité ambiante qui y règne et le désir délibéré des démagogues de maintenir l’illusion politique au profit de leurs intérêts personnels, il appartient désormais aux politiques, quoique responsables primaires de ce délitement de notre État, de contraindre ceux qui veulent faire perdurer le blocage politique. Au lieu de crier seul, il faut mettre la pression sur le procureur général et le Ministre de la Justice pour qu’ils poursuivent toute personne qui, par ses agissements et ses propos, inciterait le Président Mamadi Doumbouya à violer la Charte de la transition (qui, du reste, est toujours en vigueur). Pourquoi ne pas prendre collectivement l’initiative de poursuivre en justice toutes ces personnes qui appellent clairement ou insidieusement à la violation d’une norme constitutionnelle que le président de la transition a juré de respecter et de faire respecter ?

J’entends d’ici certains dire que ce sont des procédures qui n’aboutiraient jamais, et que ce serait donc une perte de temps. Pour ma part, j’estime que le combat contre un tel projet devrait se faire sur toutes les dimensions. Que ceux qui parlent soient confrontés à la justice.

Mais savoir faire de la politique, c’est aussi savoir mettre la pression quand il le faut, sans jamais outrepasser les limites. Il appartient ainsi aux partis politiques d’user de toutes les voies légales pour se faire entendre. Les querelles politiques, les divisions sociales et les manœuvres dilatoires ne doivent pas prendre le dessus sur les intérêts supérieurs de la nation. Mettre les intérêts de la nation au-dessus de tout suppose clairement aujourd’hui de mettre fin à la confusion et aux rumeurs, de dépasser les questions personnelles pour enfin discuter véritablement politique. La Guinée mérite mieux et les Guinéens attendent de la classe dirigeante, des leaders politiques et d’opinion de faire ensemble preuve de grandeur et de patriotisme afin d’en finir avec ce chaos politique qui nous malmène depuis des décennies. Il est temps de consacrer du temps et de l’énergie au bonheur des Guinéens plutôt que de s’adonner à des querelles politiques qui finissent toujours par créer plus de frustrations et d’instabilités socio-politiques.